Désordre public : Le théâtre et son double
Scène

Désordre public : Le théâtre et son double

Avec Désordre public, Evelyne de la Chenelière et Alice Ronfard s’interrogent sur le théâtre comme on s’interroge sur la vie.

Au coeur de Désordre public, la pièce d’Evelyne de la Chenelière, il y a Max, un comédien égoïste qui accueille très mal son nouveau don: entendre les pensées des gens qui voyagent avec lui dans l’autobus. Au fil du spectacle mis en scène par Alice Ronfard, le jeune homme fait l’apprentissage de la compassion. Son cheminement, éprouvant et salvateur à la fois, est celui de l’ouverture à l’autre.

En chorégraphiant les déterminantes rencontres de Max, Alice Ronfard redit le rôle primordial de l’acteur dans notre société. Tel un explorateur en quête d’un hypothétique trésor, le comédien ausculte la nature humaine à la recherche d’un sens. À la manière d’un filtre, il recueille les parcelles d’humanités que nous laissons échapper. À cette superposition de balbutiements, à cette addition de murmures, Max est chargé de prêter une signification. Sur la partition d’Evelyne de la Chenelière, un oratorio où l’on gronde et chuchote, la metteure en scène a su appliquer les ombres et les lumières qu’il fallait. La représentation se déroule sur un grand plateau presque nu. Un poteau traverse l’espace, suprême évocation de l’autobus, ce lieu de tous les "transports" en commun. Sur l’écran panoramique qui surplombe la scène, des photographies en noir et blanc sont projetées. S’ils appuient la réflexion du théâtre sur lui-même, ces instantanés d’acteurs en répétitions occupent avant tout une fonction plastique. La distribution est convaincante. Didier Lucien est désopilant; Jean Marchand et Jacinthe Laguë, méconnaissables; Sophie Cadieux, aussi pétulante qu’à l’habitude. Dominique Leduc, Marie Michaud et Édith Paquet s’en tirent aussi fort bien. Engagé corps et âme, surtout dans son monologue final, Maxim Gaudette est stupéfiant. De sa magnifique voix, Anna Liani relie tous ces destins.

Il ne faudrait surtout pas croire que Désordre public fait oublier Aphrodite en 04, le spectacle à géométrie variable du Nouveau Théâtre Expérimental qui en constitue la genèse. Seulement, en s’appropriant la matière, ses cris et ses silences, en offrant aux personnages d’Evelyne de la Chenelière le porte-voix qu’ils méritent, Alice Ronfard livre une véritable relecture, un vibrant hommage au métier d’acteur.

Jusqu’au 20 mai
Au Théâtre Espace Go
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