Jean-Marie Papapietro : Saisir la scène
Scène

Jean-Marie Papapietro : Saisir la scène

Avec Quelques conseils utiles aux élèves huissiers, les spectateurs, qui assistent à une pièce sous forme de conférence, hésitent entre le rire et la désolation. Entrevue avec le metteur en scène: Jean-Marie Papapietro.

"L’écriture, l’humour et les niveaux de langue m’ont attiré", raconte Jean-Marie Papapietro qui reprend cette année Quelques conseils utiles aux élèves huissiers, une pièce de Lydie Salvaire qui a été jouée une dizaine de fois, l’an dernier, à la petite Licorne. "On peut dire que ce huissier, à un second degré, peut même représenter la mauvaise conscience occidentale par rapport aux pays sous-développés qui sont exploités et je peux dire que c’est encore très actuel (le livre a été publié aux Éditions Verticales en 1997). Avec lui, c’est au premier degré que ça se passe quand il parle de ses rencontres dans des quartiers complètement défavorisés, dans les banlieues parisiennes. L’auteure touche là à des problèmes vraiment d’aujourd’hui, à travers une langue, des discours, qui sont, en fait, assez lePenistes." Le spectateur se retrouve donc à rigoler et à suivre le discours d’un homme, sympathique et au français impeccable, qui pourtant, véhicule naïvement des pensées très à droite: "Chez Jean-Marie Le Pen, il y a cette rhétorique châtiée, soignée, avec l’imparfait du subjonctif et le reste. C’est une façon de revendiquer l’héritage français, mais le personnage, avec ce langage, devient à la fois ridicule, détestable et comique." Si le spectacle est accessible à tous, les références de l’auteure, une Française, sont justement plutôt françaises, et quelques détails peuvent donc échapper aux Québécois qui ne suivent pas l’actualité française, comme en témoigne aussi l’accueil réservé par de véritables huissiers lors d’une représentation à un congrès: "Ça a été glacial, ils étaient saisis, pas une réaction. Il faut dire que la charge est forte. Professionnellement, les huissiers se sentent mis en accusation."

Si la pièce mise en scène par Jean-Marie Papapietro a reçu un accueil chaleureux à la petite Licorne, une version plus longue, et menée entièrement par des Français (au jeu et à la mise en scène), a aussi obtenu du succès en France. Papapietro raconte la genèse du texte: "L’année précédant la publication de Quelques conseils utiles aux élèves huissiers, Lydie Salvayre avait fait paraître La compagnie des spectres, un roman où elle met en scène deux femmes, la mère et la fille, dans un HLM, qui reçoivent la visite d’un huissier qui vient faire une saisie parce qu’elles ne payent pas leur loyer. La mère est une espèce de folle qui vit uniquement dans le souvenir de la collaboration et qui associe le huissier à un milicien. La fille, beaucoup plus jeune, essaye de calmer sa mère et de temporiser. Dans le roman, le huissier ne dit pas un mot. Après, Salvayre a éprouvé le besoin d’écrire, de donner la parole à ce huissier sous la forme d’une conférence. C’est ce texte que nous avons pris, texte qu’elle a d’ailleurs recomposé quand un metteur en scène s’est intéressé à la possibilité de le monter. Elle avait alors augmenté ce texte, qui était d’abord une nouvelle." Papapietro a, quant à lui, touché aux deux versions, en prenant ce qu’il y avait de mieux dans chacune, car on lui avait commandé un spectacle d’à peine plus d’une heure.

Denis Gravereaux, qui joue le huissier, arrive, seul en piste et avec l’aide de quelques projections de photographies, à tirer le maximum de toutes les nuances que contient ce beau et percutant petit texte: "C’est en travaillant le texte, presque mot par mot, qu’on fait sortir les nuances. Comme lorsqu’il dit que le maréchal Pétain est quelqu’un qui, dignement, a servi la France, on sent alors qu’avec l’adverbe dignement et la façon de le dire, il peut faire passer à la fois son admiration profonde pour le régime de Pétain et en même temps, un peu de mauvaise conscience…" Une pièce originale et troublante.

Du 9 au 20 mai
À la salle intime du Théâtre Prospero
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