Anne Théron : À double tour
Anne Théron a adapté et mis en scène La Religieuse, roman de Denis Diderot. Avec son équipe, elle en a fait, confie-t-elle, un objet théâtral "radical".
[Carrefour international de théâtre]
La Religieuse raconte l’histoire de Suzanne Simonin, fille illégitime que sa mère enferme au couvent dans l’espoir de racheter ainsi son propre péché d’adultère. Le roman, sous forme épistolaire, se traduit à la scène en un monologue dans lequel différents personnages parlent à travers la jeune femme. "Elle est seule, mais c’est une véritable polyphonie", commente Anne Théron.
C’est à la suggestion d’une comédienne que l’auteure, scénariste et metteure en scène adapte d’abord le roman; une première version est créée en 1997. "J’étais un peu surprise: pourquoi La Religieuse? J’ai commencé à réfléchir autour du texte, et je me suis aperçue qu’effectivement, ça racontait quelque chose, aujourd’hui: l’enfermement. Un enfermement bien au-delà de la cellule: l’enfermement dans une identité."
Au printemps 2004, l’artiste en présente une deuxième version. "J’ai tout refait. En retravaillant, j’ai eu un sentiment très étrange: je ne croyais plus au texte. Il y avait trop de larmes, trop de sang, trop de tout. Et c’est là que le personnage m’est apparu sous un autre angle, beaucoup plus pathologique, si je puis dire, et que j’ai fait un travail autour de la folie. J’ai gardé l’enfermement, une thématique essentielle du texte, mais je l’ai retravaillé. Ce qui m’a plus que jamais intéressée, c’était le rapport avec la mère génitrice. On peut dire que les mères supérieures qui apparaissent dans le texte ne sont qu’une éternelle déclinaison de la première mère et de cette phrase terrible qu’elle prononce: "Vous n’avez rien, vous n’aurez jamais rien", dans laquelle on peut entendre "Vous n’êtes rien, vous ne serez jamais rien". L’argument que j’ai développé, c’est que cette phrase induit une espèce de logique schizophrénique. À partir du moment où la personnalité de la gamine est éclatée par cette parole assassine, elle réagit en devenant tout; et à force d’être tout, elle n’est plus rien."
"En montant à nouveau cette Religieuse, je me suis mise dans une position de radicalité: j’ai été jusqu’au bout de ma propre émotion, j’en ai fait qu’à ma tête." Résultat? Un "objet très particulier"; scénographie frappante, "métaphore de la thématique"; travail sur le son, "une scéno en soi"; jeu puissant de la jeune comédienne Marie-Laure Crochant, "un stradivarius".
L’accueil de cette version surprend la metteure en scène: grand succès, reprises, tournée. "Mon travail, c’est ce que j’appelle la résonance. C’est comme un gong, et après ça fait appel à une logique émotionnelle qui appartient à chacun. Dans le processus, il y a nous, les créateurs, qui fabriquons cet objet, et puis il y a le spectateur qui, par son oeil, son émotion, sa mémoire, finalise l’objet. Heiner Müller disait "Les auteurs meurent, mais les textes continuent à parler." Je crois que je pourrais encore adapter ce texte de Diderot: il y a quelque chose d’essentiel qui se dit là. Comptez pas sur moi pour vous dire quoi: j’en sais rien. Mais chaque fois que je vois le spectacle, je le sens."
Les 17, 19 et 20 mai
À la Bibliothèque Gabrielle-Roy
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