Wajdi Mouawad : La part du feu
Scène

Wajdi Mouawad : La part du feu

Wajdi Mouawad, créateur à l’imaginaire singulier, emmène les spectateurs, par chacune de ses pièces, dans des zones surprenantes, mystérieuses, profondes. Il présente, au Carrefour, son spectacle Incendies.

[Carrefour international de théâtre]

Comédien, auteur et metteur en scène, Wajdi Mouawad s’impose, dès sa sortie de l’École nationale, comme un homme de théâtre marquant au Québec; depuis quelques années, il est de plus en plus apprécié en France. Que ce soit par ses textes – dont Rêves, Littoral -, par ses mises en scène – mémorables Troyennes et Trois soeurs – ou par ses positions sur la création et le théâtre, Mouawad pose sur tout une griffe, un regard qui n’appartiennent qu’à lui.

Incendies, deuxième volet d’une trilogie, entre Littoral (1997) et Forêts (2006), a été créé en mars 2003 à Meylan, en France. La pièce raconte la quête des jumeaux Jeanne et Simon, dont la mère vient de mourir, après cinq ans de silence. "Jeanne et Simon, au début de la pièce, se retrouvent dans une situation où ils sont obligés d’essayer de comprendre pourquoi leur mère s’est tue pendant les cinq dernières années de sa vie, explique l’auteur. Essayant de comprendre, ils vont ouvrir une porte qui va les mener tout droit dans les ténèbres. Et ils vont se poser la question: est-ce que c’était nécessaire? Incendies, c’est une histoire peut-être qui se demande comment fait-on pour se reconstruire, comment on fait pour recoller les morceaux qui ne peuvent pas être recollés, qui se demande aussi qu’est-ce qu’on fait avec la douleur, avec la peine, et comment tout ça peut voyager, se transformer, se déplacer? Comment la beauté peut naître là-dedans, étrangement? Qu’est-ce que c’est promettre et, pour toutes sortes de raisons, ne pas être capable de tenir sa promesse?"

Si Wajdi Mouawad signe texte et mise en scène de ce spectacle, Incendies est une "oeuvre inventée ensemble" par l’artiste et toute son équipe de comédiens et de concepteurs. "Au début, j’ai une histoire dans ma tête, qui est précise, mais qui n’a pas nécessairement tout réglé. Je rassemble des acteurs. Pendant deux-trois semaines, on est assis autour de la table et je leur raconte d’abord l’histoire; ensuite, on en parle. Je leur pose clairement la question: qu’est-ce qui, dans ce que je viens de vous raconter, vous semble clocher? Comment peut-on faire pour que ça fonctionne, pour qu’on y croie? Alors on discute, et à force de parler de ces personnages, ça devient des gens, qui finissent par exister très réellement, mais qui ne sont pas avec nous. Parallèlement à ça, je raconte des choses aux acteurs; pour Incendies, je leur ai raconté l’histoire du Moyen Orient, je leur ai parlé de la Bible, de la guerre du Liban, de moi, de toutes sortes de trucs, en fait. En même temps, je leur ai posé des questions. Qu’est-ce que c’est pour vous un territoire? Y a-t-il un espace – un lieu, une terre, un bout de jardin, n’importe quoi – pour lequel vous seriez prêt à tuer quelqu’un, si jamais il y mettait le feu? Qu’est-ce qui vous inquiète, aujourd’hui, de quoi vous avez peur? Qu’est-ce que vous avez envie de faire au théâtre, que vous n’avez jamais fait? Des désirs des acteurs, de là où ils en sont, il y a parfois des choses qu’ils disent, auxquelles je n’aurais pas pensé tout seul, qui tout à coup coïncident avec des idées que j’ai pour la pièce. Quand je sens une sorte de maturation, je leur donne la distribution. Puis, on se quitte un certain temps, et là je m’en vais écrire."

La suite: alternance de rencontres et d’écriture, discussions et organisation dans l’espace, jusqu’à ce que le spectacle existe complètement. "Ce qui pour moi importe avant toute chose, c’est ce qui est construit, c’est le spectacle. C’est un acte que l’on pose ensemble: acteurs, metteur en scène, scénographe, techniciens, tout le monde, dans une sorte d’urgence de l’histoire, parce que tout à coup cette histoire, pour tous, signifie quelque chose. Et que là, c’est important qu’on la raconte, pour chacun."

Incendies s’insère dans une trilogie, que terminera un épilogue. Sans qu’il y ait de véritable suite, des liens se tissent entre les trois spectacles. "Maintenant que la trilogie est construite, je comprends, je vois ce que c’est. Si vous voulez, c’est une quête qui est commencée par Wilfrid dans Littoral, qui est poursuivie par Jeanne, dans Incendies, et qui est complétée par Lou, dans Forêts. Et j’ai l’impression que ça tourne autour de la promesse: cette chose qui est promise et pas tenue, et qui finalement, peut-être trois générations plus tard, va devoir être tenue, mais par des gens qui ne l’ont pas promise envers des gens à qui on ne l’a pas proférée. Mais parce qu’une promesse a été lancée, il faut bien la tenir. Je crois aussi que c’est une trilogie qui parle d’une manière de faire du théâtre. C’est extrêmement lyrique, extrêmement épique: ça se veut plus grand que soi. Pour moi, c’est important de faire du théâtre qui me dépasse, personnellement; c’est ça que j’aime faire. Les trois pièces sont portées par ça. Il y a peut-être autre chose aussi qui anime ces trois pièces: le chagrin. Qui gronde dans Littoral, se développe dans Incendies et devient absolument monstrueux dans Forêts. Et la 4e partie, comme un épilogue, viendrait contredire tout ça. Un peu comme si la 4e partie venait dire: c’est très intéressant, mais en fait, on n’a pas besoin de tout ça, on n’a pas besoin de se pencher sur son passé pour vivre. J’ai l’impression que sans ce contrepoint, l’ensemble perdrait de sa force: ça deviendrait trop dictatorial."

Et au centre de cette trilogie, toujours, un certain égarement. "Il y a une sorte d’égarement, une solitude, une fragilité tellement grande chez les êtres, chez chacun de nous, une sorte d’insatisfaction, qui fait qu’on sait pas exactement quoi faire; il y a quelque chose de cet ordre qui gronde dans nos vies. Et donc cette chose qui gronde, ces ténèbres qu’on porte en nous, on peut choisir de les regarder ou de pas les regarder. On peut choisir de leur donner un sens très rapide, ça peut fonctionner si tout va bien dans la vie, mais si tout s’écroule dans votre vie, vous les sentez, fortement, ces ténèbres. Je crois que ces histoires essayent de montrer quelqu’un qui est seul devant ces ténèbres. C’est juste raconter ça, ça apporte pas vraiment de solution, même si Forêts amène peut-être une voie, une route qu’on peut suivre."

Avec Wajdi Mouawad, les comédiens Éric Bernier, Gérald Gagnon, Reda Guerinik, Andrée Lachapelle, Marie-Claude Langlois, Isabelle Leblanc, Julie McClemens, Richard Thériault, Isabelle Roy et les concepteurs Angelo Barsetti, Éric Champoux, Michel F. Côté, Isabelle Larivière, Alain Roy.

Les 18, 19, 20 et 21 mai
Au Grand Théâtre
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