Ceci n'est pas une pipe : Hier
Scène

Ceci n’est pas une pipe : Hier

Ceci n’est pas une pipe. Mais il y a de quoi casser la sienne. Une pièce de théâtre qui pourrait bien faire fumer les esprits trop quiets…

Hier. Tout ce qui s’est produit et qu’on a laissé faire. Toutes ces petites révolutions manquées, ces moments où, au lieu de nous révolter, nous avons esquissé un sourire – à bien y penser un sourire niais. La pièce de théâtre Ceci n’est pas une pipe, présentée au Centre des arts et de la culture jusqu’au 20 mai, est un véritable coup de fouet pour une société dont le PIB se concentre autour de la culture du silence. Le texte franc, mordant et dérangeant, est un ultime appel à la lucidité. Josée Gagnon (Pierre, Marie… et le démon, Toilette de soirée), à la fois productrice du spectacle et comédienne, explique ce qui l’a poussée à choisir ce texte de Stéphane Hogue: "À un moment donné, il faut provoquer nos pensées si on veut avancer. On est dans une espèce de société où on veut endormir les gens. On veut surtout pas qu’ils réfléchissent trop, qu’ils s’affirment trop. Les gens qui s’affirment et qui sont francs, ce sont des menaces. On veut se conforter, en tant que groupe. On ne veut surtout pas se remettre en question. Il faut le faire. Il y a des gens qui ont envie d’être provoqués, qui ont envie d’avoir ce débat-là. Et il y a les autres qui veulent se foutre la tête dans le sable et ne surtout pas l’entendre… Ça prend trop d’énergie, se remettre en question. Mais les gens qui se remettent en question, ce sont les plus belles personnes, les plus intéressantes à rencontrer."

Que cela soit dit: le dialogue est très difficile. Heureusement, grâce au décor d’Isabelle Sheehy, sous les bons conseils du metteur en scène Dominick Bédard, l’escalade de la violence est présentée en papillote colorée, comme un bonbon sur. Une fois averti, on peut en saisir toute la saveur. Deux décors monochromes. Deux couples de personnages. Deux récits. Toujours la même histoire. "Il y a des mots… des mots grinçants, affirme Patrice Leblanc (La Farce de maître Pierre Pathelin). Je ne sais pas quoi en retirer. Je pense que je n’ai pas assez de recul pour savoir ce que ça peut faire pour quelqu’un qui arrive dans la salle, qui reçoit tout d’une shot et qui ne serait pas habitué au théâtre engagé… Mais c’est sûr que ça fait réfléchir. Ce qu’on entend est très dur, ce qu’on voit est rigolo." Ce qui n’est pas sans rappeler les frasques de Leblanc au sein de la troupe du Théâtre du Faux-Coffre.

Le jeu des deux comédiens est percutant. Pas question de vendre la mèche, mais Leblanc réussit même à faire vivre à la salle une certaine peur, jouant avec les limites de la représentation. Ils nous font osciller sur la corde raide tendue entre le rire et le malaise.

La mise en scène de Bédard est simple et efficace. "Il est très stimulant, Dominick, affirme la productrice. Il sait tout faire. Il a joué, il a fait de la mise en scène, de la conception sonore, de la conception d’éclairages… J’avais besoin de quelqu’un sur qui je pouvais vraiment m’appuyer." Les effets spéciaux les plus éblouissants n’auraient pu rendre avec une plus grande force de frappe le propos difficile de la pièce. Les nombreuses saynètes, particulièrement rythmées dans la première moitié du spectacle, sont entrecoupées de blacks. "Il s’installe un jeu avec les spectateurs, déclare la comédienne, ravie. On les sent qui se demandent: "Où est-ce qu’ils vont être?" Et moi, quand je m’installe, j’ai hâte de leur montrer comment je suis rendue." Ces moments de noir total sont comblés de sampling (échantillonnage) musical, particulièrement efficace en première partie.

Difficile de dire comment on sort de cette pièce coup de poing. Si elle provoque autant la réflexion, c’est peut-être parce qu’elle agit comme un miroir grossissant qui réfléchit les tares de notre société. "Jusqu’où peut-on aller trop loin?" Cette phrase, tranchante dans la pénombre du théâtre, continue de hanter longtemps par la suite.

Jusqu’au 20 mai
Au Centre des Arts et de la Culture
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