Paul-André Fortier : Fleur de macadam
Scène

Paul-André Fortier : Fleur de macadam

Paul-André Fortier terminait la semaine dernière, à Nancy, la deuxième phase de son ambitieux projet Solo 30×30. Voir y était. Échos choisis, alors que le danseur et chorégraphe s’apprête à récidiver à Ottawa, puis Yamaguchi (Japon) et enfin Montréal.

2 mai, 13 h 30

Le toit d’un abri de la SNCF, au milieu d’un quartier ferroviaire de Nancy, France. Quelques mètres carrés de béton, qu’on dirait oubliés en marge de la ville. Pas très glamour, on est d’accord.

C’est pourtant là que le danseur et chorégraphe montréalais Paul-André Fortier, ce pionnier de la danse contemporaine, a voulu s’exécuter durant la deuxième étape de son périple 30×30, qui l’aura mené, au terme de 2006, dans cinq villes de trois continents. Depuis le début avril, Paul-André Fortier y danse 30 minutes par jour, beau temps, mauvais temps, sous l’oeil de badauds qui d’abord se frottent les yeux, étonnés, pour lentement s’abandonner aux fruits du hasard. (…)

4 mai, 23 h 20

Arrivé à Nancy fin PM. Croisé Paul-André Fortier dans le hall de l’hôtel, son regard bleu comme un ciel de février. Calme, concentré, rayonnant de santé malgré l’effort soutenu des dernières semaines, il s’apprête à danser pour une 28e fois en autant de jours sous le pont des Fusillés, où un improvisé mais véritable public se rassemble chaque soir pour le voir animer cet entrepôt ferroviaire qu’il a élu pour scène.

18 h.

Soleil de plomb (27 degrés aujourd’hui en Lorraine). Fortier grimpe sur une petite échelle et s’installe. Gestuelle d’appropriation de l’espace, presque un rituel. Puis ces cascades de mouvements d’une précision et d’une grâce qui ont fait la réputation du danseur, et qui rendent superflues les fioritures comme les prouesses athlétiques. Les spectateurs chuchotent, sortent l’appareil photo, comprennent qu’ils ne sont pas devant un amuseur de rue comme les autres. Des chauffeurs d’autobus, dont le terminus encercle notre homme, s’accoudent à leur monstre d’acier pour observer l’affaire.

"Il installe un autre type de rapport entre danseur et spectateurs", me dit le directeur du Ballet de Lorraine, Didier Deschamps, l’un des principaux alliés de Fortier dans cette aventure. (…)

5 mai, 16 h 39

Comme chaque matin, Paul-André Fortier va à la rencontre des Nancéiens sur leur lieu de travail. Aujourd’hui, visite du Home Institut, une usine de produits de beauté, dont le verbomoteur et très sympa directeur général nous accueille à bras ouverts. Dans ce vaste espace de travail à la chaîne, où l’on concocte entre autres les crèmes et shampoings Karités, populaires chez nous, le danseur jette un peu de magie à la ronde sous l’oeil et l’objectif de Daniel Denise, qui fixe des bribes d’intervention pour les intégrer à sa création Solovidéophoto. Contraste fort, étrange et beau.

6 mai, 12 h 25

Deux phrases de Paul-André Fortier attrapées au vol:

"Sur ce toit, je me sens petit et immense à la fois."

"Bien sûr, ma condition physique peut varier d’un jour à l’autre. Je me dis que, même s’il m’arrive un jour d’être malade ou blessé, je fabriquerai la danse avec le corps de ce jour-là."

Force tranquille d’un être à part, qui porte sa presque soixantaine avec l’aplomb d’un jeune homme. (…)

8 mai, 11 h 20

Samedi en fin de soirée, devant la gare, c’est le grand moment pour Samuel Bianchini et les étudiants de son Atelier de recherche et création de l’École nationale supérieure d’art de Nancy. Ils nous dévoilent enfin leur Poursuite 30×30, un dispositif qui porte bien son nom: il prolonge en effet, symboliquement, la présence de Paul-André Fortier ici, et est strictement constitué d’un projecteur de poursuite (follow spot).

Le concept est simple: sur la paroi d’un grand immeuble, un projecteur cherche quelque chose. Un prisonnier qui se serait évadé? Un suicidaire sur le point de passer à l’acte? On lit ces questions et bien d’autres dans les yeux des passants. Des interrogations qui font écho à celles provoquées par un certain danseur sur sa cabane.

(…)

De Nancy, ville qui n’aura finalement mis que quelques jours à me séduire tout à fait, je repars avec des souvenirs forts: l’étonnant dialogue entre les quartiers médiévaux, les perspectives XVIIIe et les legs Art déco de l’École de Nancy, dont nous avons visité le musée samedi; les rencontres avec de grands passionnés de création, qui nous rappellent que Paris n’est pas le seul phare culturel de France; enfin, je repars avec en mémoire les gestes singuliers d’un minuscule géant, qui nous a convaincus que la beauté pouvait pousser partout.

Version complète du blogue "Voir à Nancy" sur voir.ca
Le blogue de Fortier Danse-Création: fortierdanse.blogspot.com