Heiner Goebbels : La musique du quotidien
Heiner Goebbels est compositeur et metteur en scène. Il a créé Eraritjaritjaka, dirigeant texte et jeu, éléments visuels et sonores comme autant de voix dans une partition musicale.
"Quand je mets en scène, je travaille comme un compositeur: je cherche des ponts musicaux, des liens rythmiques, explique Heiner Goebbels. Quand je compose, je travaille comme un metteur en scène: évitant de me perdre dans le matériel musical, je regarde plutôt, de l’extérieur, ce que ça signifie."
Eraritjaritjaka combine quatuor à cordes, jeu, texte, effets sonores et lumineux, film, et met en scène un homme qu’on suit, jusque dans son intimité. Le spectacle a été créé à partir du travail d’expérimentation de l’équipe d’artistes avec lesquels collabore Heiner Goebbels depuis dix ans. Le résultat? Un spectacle, semble-t-il, difficile à décrire. "J’essaie toujours de surprendre, d’éviter ce qui est prévisible. Dans le théâtre musical, j’essaie de créer un nouvel équilibre entre tous les éléments, une nouvelle combinaison, exigeante et réjouissante pour nos sens."
Point de départ du spectacle: des pensées d’Elias Canetti, agencées ici pour créer ce "Musée de phrases", sous-titre de la pièce. "Canetti, dans ses carnets, notait de courtes phrases. J’aime beaucoup ces livres: pendant longtemps, je les ai lus et relus. Ces aphorismes demandent qu’on leur donne un sens, qui peut différer, presque, à chaque lecture. C’est tellement agréable d’avoir à la maison un livre qu’on peut ouvrir de temps en temps, à différents endroits, et chaque fois éprouver un plaisir renouvelé. Mon problème était de garder ce plaisir ouvert dans une pièce de théâtre; ça m’a pris cinq ou six ans à bâtir cette pièce, à la garder ouverte pour le spectateur, comme un livre."
Comme le sens des aphorismes de Canetti, l’histoire d’Eraritjaritjaka n’est pas, non plus, unique. "Probablement parce qu’elle est racontée par différents éléments, il semble que l’histoire puisse être différente selon les individus, selon l’attention que chacun y accorde. Ça parle de la musique, de la vie, en solitaire ou avec quelqu’un."
Cette pièce est le troisième volet d’une trilogie dont chaque partie se base sur des carnets d’auteurs différents. "Comment peut-on comprendre le monde et définir sa propre identité, en relation avec l’expérience et l’espace publics?: voilà le thème commun aux trois spectacles. Ce qui m’intéresse chez Canetti et le rapproche de mon travail en théâtre, c’est son intérêt pour la justice, le pouvoir. Il observe les systèmes politiques, mais il regarde aussi l’origine de tout ça: les relations entre les gens, l’équilibre entre différents éléments individuels. Je traduis cette sensibilité dans la complexité des différents langages théâtraux."
"Eraritjaritjaka", mot d’une langue aborigène australienne souvent mentionné par Canetti dans ses carnets, signifie "le désir d’une chose qui s’est perdue". En plus de sa force poétique, ce mot mystérieux intrigue. "J’essaie de ne pas demander quoi que ce soit au public, confie l’artiste, si ce n’est d’être ouvert et curieux. Je crois que si des gens vont voir ce spectacle au titre imprononçable, il est certain qu’ils le sont. Ils ne veulent pas voir ce qu’ils ont déjà vu: c’est tout ce que je demande."
Les 24 et 25 mai
À la Salle Albert-Rousseau
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