Les Arts Sauts : L’art de la chute
Pour la première fois en Amérique du Nord, Les Arts Sauts présentent Ola Kala, un spectacle singulier exclusivement voué au trapèze. Pour nous en parler, Voir a rencontré les trapézistes Mélissa Colello et Germain Guillemot.
"Je me suis jointe à la troupe en 2003", nous dit Mélissa Colello, qui a grandi dans le quartier Ahuntsic à Montréal, pas si loin de la TOHU. "Avant, je travaillais au sein d’une compagnie en Angleterre, mais j’étais en Europe depuis 1996 à présenter des numéros à l’intérieur de spectacles collectifs ou autres, où j’ai aussi fait du cirque traditionnel, avant de rencontrer Les Arts Sauts dans le Sud de la France."
Germain Guillemot, lui, est un des fondateurs de la troupe née en 1993: "Je suis porteur en ballant, ce qui veut dire que je suis accroché par les jambes, que je me balance la tête en bas et rattrape les voltigeurs qui se lancent dans les airs. Je suis censé les relancer sur un autre trapèze ou dans les mains d’un autre porteur." Pince-sans-rire, il a beau employer le mot "censé", on comprend bien que Germain est un véritable pilier pour la troupe qui présente différentes moutures d’Ola Kola ("tout va bien" en grec) depuis 2003, et qu’il a, contre toute apparence, les pieds bien sur terre.
LA COMMUNAUTÉ DES ANGES
"Le spectacle change toujours un peu, nous dit Germain, d’abord parce qu’il évolue, mais aussi parce que nous nous adaptons aux événements: blessures, problèmes techniques, etc. Nous essayons également plusieurs idées en cours de route." La troupe fonctionne de manière totalement démocratique, autant sur le plan artistique qu’administratif, et tous les membres sont invités à proposer des idées comme à consulter les livres comptables. "C’est une démocratie dans tous les sens du terme, affirme Germain. Si quelqu’un amène une exploration et que nous sommes enthousiastes, ça va, mais si nous décidons collectivement de rejeter le truc, il doit avaler la pilule." "Tout le monde a la même paye, ajoute fièrement Mélissa, que tu sois un nouveau membre ou un fondateur de la compagnie. Aussi, tout le monde collabore pour monter le chapiteau comme tous contribuent à toutes les tâches."
S’il le veut, chacun peut donc s’intégrer naturellement et très rapidement à la famille. D’ailleurs, tout le monde paraît surpris lorsque Mélissa nous dit faire partie de la bande depuis seulement trois ans: "Nous avions l’impression qu’elle était là depuis pratiquement les tout débuts!" dit en choeur le reste du groupe. "Le fait qu’il n’y ait pas de hiérarchie, ajoute Germain, et que la paye soit la même pour tous permet aux nouveaux de prendre rapidement une place importante."
Le fait de fonctionner ainsi dans la transparence, dans l’étroite collaboration, comme de vivre pour la plupart d’entre eux dans des caravanes (du moins en Europe) garées les unes près des autres, aide forcément les membres de la troupe à se sentir en confiance. Et lorsqu’on est trapéziste, la confiance envers les camarades est fondamentale.
UN SPECTACLE UNIQUE
"À ma connaissance, précise Germain, aucune autre compagnie ne se consacre exclusivement au trapèze pour des spectacles d’une aussi longue durée. Il y a habituellement des aspects plus théâtraux, avec des textes, dans le travail des autres." Chez Les Arts Sauts, même si certains membres connaissent bien le jeu, on est catégorique: on se concentre sur ce qu’on sait faire le mieux. "Ça ne me dérangerait pas de jouer, ironise Germain, mais je devrais recevoir une formation de quatre ou cinq ans auparavant!" Or, un spectacle de cirque doit aussi être varié, par le rythme ou autre. "Nous n’avions aucune inquiétude quant à présenter un spectacle composé exclusivement de numéros de trapèze, poursuit Germain. Nous ne nous sommes même pas posé la question à savoir si les gens allaient nous suivre ou non, tellement nous avions envie de faire ça. Que quelqu’un puisse demeurer plus de dix minutes devant un numéro de trapèze nous semblait aller de soi!"
Ola Kala dure un peu plus d’une heure et dose habilement prouesses et moments de grâce. Un des principes fondamentaux de la troupe, depuis son tout premier spectacle en 1993, semble justement de ne pas faire d’esbroufe: "Pour nous, la technique et la performance ne doivent jamais être mises à l’avant-plan. La technique, c’est un moyen, pas une fin en soi. Oui, la technique existe et il y en a beaucoup, comme il y a beaucoup de performance, mais jamais n’en faisons-nous la démonstration; nous travaillons plutôt sur les images et sur les émotions. Du coup, la technique passe souvent inaperçue."
LA MOITIÉ DE LA VIE EN L’AIR
À 12 mètres d’altitude, perché aux côtés des circassiens: le groupe de cinq musiciens, incluant des cordes, une chanteuse et un programmeur. "La plupart du temps, affirme Mélissa, les musiciens font une proposition et on en discute." Certains des musiciens, tel Benoît Fleury à la guitare électrique et au violoncelle, sont là depuis longtemps et ils connaissent bien l’esprit des Arts Sauts. On attend d’eux une grande capacité d’adaptation: "La musique doit évoluer à mesure que nos numéros progressent, lance Germain, et comme nous changeons constamment des choses, les musiciens, qui se sont déjà adaptés à la vie dans les airs, doivent s’ajuster, souvent à la dernière minute, aux différentes métamorphoses. C’est un travail journalier."
Tant qu’à passer la moitié de sa vie en l’air, autant le faire en harmonie…
CHORÉGRAPHIE DES ÉTOILES
Le 6 juin dernier, à Marseille, nous avons assisté à Ola Kala, créé en 2003 et qui n’a encore jamais été présenté à Montréal. Compte rendu.
Grâce aux chaises inclinées conçues pour le spectacle, nous savons, avant même que les lumières ne s’éteignent, que nous assisterons à une nouvelle manière, sinon de faire, du moins de voir un spectacle de trapèze. La bulle gonflable de 28 mètres de haut sur 50 mètres de diamètre, qui sert de chapiteau et qui est montée à quelques pas de la Méditerranée, crée réellement une bulle, une parenthèse dans la soirée, au cours de laquelle toute magie et toute poésie semblent pouvoir advenir. Comme accrochée au ciel, une sorte de croix pesant 16 tonnes domine les lieux. Une libellule dans un cocon. Sur ses branches, ils sont plus d’une vingtaine, incluant les musiciens, à nous observer de haut.
Dès les premières mesures de musique, quand l’obscurité se fait, les trapézistes plongent vers nous qui oublions le temps et les épreuves de la vie. C’est que Les Arts Sauts, tout en légèreté, nous engagent dans un univers onirique ensorcelant. Entraînés rigoureusement, les six porteurs, sept voltigeurs et deux trapézistes en ballant (dont la Québécoise Mélissa Colello) vont de prouesse en prouesse, de manière fluide, comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfant. Pourtant, ce genre de ballet aérien pousse la machine humaine pratiquement aussi loin qu’une discipline olympique. D’ailleurs, bien qu’un des membres de la troupe ait 52 ans et que ses performances n’accusent aucun signe de vieillesse, les trapézistes ont souvent une carrière aussi courte que celle des athlètes, à moins de faire comme certains danseurs et d’orienter leur chorégraphie vers des zones moins exigeantes physiquement.
Soutenue par une musique qui sied parfaitement aux formes du spectacle et par la voix envoûtante de la chanteuse lyrique Pascale Valenta, la troupe nous dirige en un tourbillon fait de passages saccadés, où les chassés-croisés nous tiennent en haleine, comme des instants de grâce où, avec les acrobates, le temps est suspendu.
Un spectacle magnifique, qui gagne l’amateur de cirque comme celui de danse ou de performances sportives. Le 6 juin, après de longs applaudissements, les gens tardaient d’ailleurs à quitter l’endroit, observant les installations comme si elles contenaient un secret: celui de l’alchimie de l’art et du sport.
Du 25 juillet au 5 août
Sur la place publique de la TOHU
Voir calendrier Cirque
Lisez le blogue Les Arts Sauts de notre membre de Voir.ca, Joanie Bergeron Poudrier, pour découvrir cette troupe hors de l’ordinaire qui livrait son spectacle OLA KALA à Marseille le mois dernier avant de venir le présenter à Montréal la semaine prochaine !