Christian Lapointe et Alexandre Lefebvre : Produits et services
Scène

Christian Lapointe et Alexandre Lefebvre : Produits et services

Christian Lapointe et Alexandre Lefebvre, respectivement metteur en scène et traducteur, président à la création québécoise de Shopping and Fucking, une pièce subversive du Britannique Mark Ravenhill.

Il semble que le metteur en scène Christian Lapointe trouve son compte chez les dramaturges symbolistes aussi bien que chez les contemporains. De son point de vue, W.B. Yeats et Villiers de l’Isle-Adam sont aussi modernes que Claude Gauvreau et Sarah Kane. Adoptant une approche formelle, mais pas désincarnée, le directeur artistique du Théâtre Péril se tient loin du réalisme et de ses avatars cinématographiques ou télévisuels. C’est dans cette perspective qu’il s’attaque maintenant, avec Atchoum! Production, à Shopping and Fucking, une pièce coup-de-poing du Britannique Mark Ravenhill. Créé au Royal Court Theatre Upstairs de Londres en 1996, le texte est précédé d’un fumet de scandale. Bien que l’oeuvre ne soit pas dénuée d’humour, elle ne correspond pas tout à fait à ce qu’on a l’habitude d’appeler le théâtre d’été. "Ce n’est pas un spectacle grand public, explique le metteur en scène. Mais comme personne ne fait de trucs semblables en été, je suis convaincu que des gens vont s’y intéresser."

La pièce a beau avoir été créée il y a dix ans, ce qu’elle cristallise à propos de la société nord-américaine n’a pas pris une ride. On se demande bien ce qui donne aux auteurs britanniques post-pinteriens ce recul et cette extraordinaire capacité de synthèse. Lorsqu’il s’agit de faire entrer tous les maux de l’Amérique dans quelques scènes lapidaires, ils n’ont tout simplement pas leur pareil. Impitoyable, mille fois plus cruel que le théâtre de l’États-Unien David Lindsay-Abaire (Un monde merveilleux) ou la télésérie Desperate Housewives, le portrait que brosse Ravenhill fait rire, grincer des dents et pleurer. On oscille sans cesse entre compassion et révolte, tout ce qui a fait la réputation de ce que le théoricien britannique Aleks Sierz a appelé le "In-Yer-Face Theatre", un genre éminemment subversif auquel Edward Bond et Sarah Kane ont donné ses lettres de noblesse. Pour le metteur en scène, "ça dépeint très bien l’univers dans lequel on vit"!

TOUT A UN PRIX

Traduite par Alexandre Lefebvre, diplômé du programme d’écriture dramatique de l’École nationale de théâtre, la partition préserve le rythme saccadé de l’original, trouve un équivalent québécois au slang londonien. "Si j’ai transposé l’action à Montréal, c’est pour qu’il y ait le moins de blocages possible, pour que le texte se rende au public, explique le traducteur. Par exemple, si Ravenhill en a contre les 7-Eleven (la plus grande chaîne de convenience stores au monde), moi j’en ai contre les Couche-Tard!" La pièce met en scène les déboires de quatre jeunes adultes, leurs errances dans un monde où tout, mais alors vraiment tout, est à vendre. Dans la société où Lulu (Marie-Ève Des Roches), Robbie (Alexandre L’Heureux), Mark (Benoit Saint-Hilaire) et Gary (Patrick Martin) tentent de survivre, le matérialisme, la drogue, la violence et le sexe sans sentiment triomphent sauvagement. Rôdant autour du quatuor, Brian (Marcel Pomerlo) est le gourou d’un capitalisme qui rime avec fanatisme. "Je demande aux acteurs de jouer la pièce comme une partition, explique Lapointe. Je pense que si on monte les pièces du "In-Yer-Face Theatre" de manière aussi réaliste qu’elles sont écrites, on se fait piéger." Bien que le spectacle soit interdit aux moins de 16 ans, le metteur en scène dit préférer l’évocation à l’illustration, une manière encore plus infaillible de provoquer: "Grâce à l’évocation, les spectateurs deviennent leurs propres bourreaux, ils construisent des images aussi trash qu’ils en ont envie, sûrement pires d’ailleurs que tout ce que l’on pourrait montrer sur scène."

Jusqu’au 4 août
Au Théâtre National
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