Pierre Lebeau : Le libertin
Pierre Lebeau remplace Gabriel Gascon au pied levé dans La Fin de Casanova, un texte de Marina Tsvetaïeva mis en scène par Denis Marleau.
On apprenait la semaine dernière que pour des raisons de santé, le comédien Gabriel Gascon, fidèle collaborateur de Denis Marleau, allait être remplacé par Pierre Lebeau, lui aussi complice de longue date, dans le rôle-titre de La Fin de Casanova, la plus récente création de la compagnie UBU, un spectacle présenté en coproduction avec Espace Go et le Théâtre français du CNA. Il y a quelques jours de plus, à peine, que Pierre Lebeau a accepté de partager la scène avec Éliane Préfontaine et Gaétan Nadeau: "J’aime ça me retrouver dans ce genre de situation. Je suis obligé de me concentrer rapidement sur un projet, d’assimiler rapidement la matière, de faire en sorte de répondre rapidement aux visions et aux exigences du metteur en scène. Dans ce cas-ci, le travail a été plus simple, parce que j’ai déjà derrière moi 11 productions avec Denis Marleau. On a un langage commun qui nous facilite grandement les choses."
Dans un tel délai, l’apprentissage du texte constitue un défi en soi, un défi qui est loin d’être facilité par la langue singulière de Marina Tsvetaïeva, traduite par André Markowicz: "J’essaie tant bien que mal d’assimiler le texte, qui est assez énorme, le plus rapidement possible. C’est à mi-chemin entre la poésie et le langage parlé. C’est écrit en vers libres, mais la rime ne s’entend pas. C’est une langue extrêmement structurée, maîtrisée, très écrite, mais qui, en même temps, est syncopée, truffée de parenthèses et de tirets." Pour un homme qui décrit la poésie comme "un art de synthèse extraordinaire", un comédien qui n’a jamais caché son amour des vers, la rencontre avec Marina Tsvetaïeva (1892-1941), une écrivaine exaltée, lyrique et lucide, considérée comme l’une des plus grandes voix de la poésie du 20e siècle, ne peut s’avérer qu’enrichissante: "Je pense que la poésie de Marina Tsvetaïeva sera une découverte pour beaucoup de spectateurs. Pour moi, c’est une aventure extraordinaire que de me confronter à cet univers. Chaque fois que je travaille avec Denis Marleau, j’ai à me débattre avec des textes qui ne sont pas faciles d’accès, et j’ai constamment l’impression que le travail que je fais avec lui m’aide dans tout ce que j’accomplis ensuite."
Comme tout le monde, Pierre Lebeau connaissait Casanova, mythique aventurier italien, archétype du libertin dont les innombrables exploits romanesques se sont propagés de par le monde: "En lisant davantage, j’ai eu l’impression que je n’en connaissais que les clichés. C’est fascinant de jouer un personnage qui a tout fait. Il a été artiste, escroc et kabbaliste. C’était un homme du siècle, un aventurier qui a voyagé à travers toute l’Europe et qui parlait plusieurs langues, mais, dans les dernières heures de sa vie, il n’est plus que le souvenir de ce qu’il a été. D’une certaine façon, Casanova incarne une réflexion sur le moment qui vient. Souvent, il plonge dans son passé, mais toujours en se rappelant l’imminence de ce qui l’attend."
Le comédien au parcours hétéroclite avoue qu’il s’était déjà imaginé dans les habits de Casanova: "J’ai pensé que je pourrais, éventuellement, le jouer, mais je n’avais pas imaginé le jouer à sa dernière heure. Cela dit, la pièce ne repose pas sur les effets de vieillesse, mais plutôt sur un état intérieur. Au fond, le personnage pourrait avoir mon âge et en être à sa dernière heure. Durant une période de ma vie, je pouvais m’identifier davantage au personnage, c’est-à-dire une période un peu frénétique, où j’avais une vie un peu plus désorganisée, mais disons que maintenant je suis en quelque sorte tombé dans l’autre siècle."
Ici, Pierre Lebeau fait allusion à cette transition entre le 18e et le 19e siècle, une question qui se situe au coeur de la rencontre entre Casanova et la jeune Francisca, le dernier jour de 1799, au château de Dux, en Bohême (l’actuelle République tchèque): "C’est la rencontre de deux époques, la fin du 18e siècle, qui représente le libertinage, et le début du 19e siècle, le romantisme. Casanova arrive difficilement à faire le passage, à accepter la fin de sa vie. C’est l’affrontement de deux perceptions du monde. À la fin de la pièce, malgré leur antagonisme, les deux personnages vont se rejoindre, converger vers un seul et même point. En somme, la pièce illustre la transmission d’une âme à une autre, d’une poésie à une autre. C’est très beau! Lui, il se dirige vers la mort, et elle, elle nous quitte dans le sommeil, à l’aube de toute sa vie."
Du 12 septembre au 7 octobre
Au Théâtre Espace Go