La Dame aux camélias : La maladie d’amour
Après avoir accueilli en ses murs Roméo et Juliette, Ulysse et Pénélope ainsi que Tristan et Iseult, le Théâtre du Nouveau Monde ne pouvait taire plus longtemps la passion fiévreuse qui anime Armand Duval et Marguerite Gautier dans La Dame aux camélias. Confidences des comédiens Anne-Marie Cadieux et Sébastien Ricard.
Le TNM ouvre donc sa saison 2006-2007 avec cette grande histoire d’amour écrite par Alexandre Dumas fils, revisitée par l’auteur contemporain René de Ceccatty. Et qui d’autre qu’Anne-Marie Cadieux pour interpréter cette héroïne "affligée" d’une beauté rare, mariant grâce et désinvolture, force et fragilité, finesse de corps et d’esprit? Marguerite Gautier est une courtisane de la fin du 19e siècle qui, condamnée à mourir jeune, est déchirée entre l’envie de succomber à l’amour que lui offre Armand et le besoin d’indépendance que lui impose sa condition sociale. D’autant plus que le conformisme de l’époque joue contre les deux amants. Voilà une histoire d’amour tragique qui transgresse l’interdit, l’ingrédient-clé pour les passions dévorantes et destructrices. "À partir du moment où Armand et Marguerite se rencontrent, ils se reconnaissent. Il y a union des âmes et des corps, une fatalité dans leur amour", raconte Anne-Marie Cadieux.
Si René de Ceccatty a créé sa propre version théâtrale de l’oeuvre, il y a six ans, c’est à la demande de l’agent d’Isabelle Adjani. L’actrice désirait effectuer un retour sur scène dans le rôle de Marguerite Gautier. Quel effet cela fait-il de jouer un personnage revu sur mesure pour Adjani? "Une fois qu’on commence à travailler quelque chose, on est dans notre objet à nous. Je ne pense pas à ça. C’est un rôle fantasmatique. Au début, j’ai eu peur, mais je ne pouvais pas le refuser. Un ami m’a dit que des actrices tueraient pour ça!" avoue Cadieux dans un éclat de rire.
DANS LA PEAU DE…
Pour s’approprier le personnage de Marguerite, la comédienne a lu et relu le roman, a laissé vagabonder son esprit, s’est référée à son propre sentiment amoureux. "Tout le monde a vécu de grandes passions, des histoires d’amour impossibles, du moins je l’espère! J’ai donc été portée par une ivresse, j’étais dans un état fiévreux, je ne dormais pas, je lisais la pièce la nuit", explique-t-elle. Un état amoureux que la comédienne n’avait jamais eu l’occasion d’explorer dans ses rôles précédents. "C’est la première fois que je joue une héroïne romantique. Il y en a peu au théâtre. Les amours qu’on joue sont souvent perverses, tordues. Ici, tout est pur. C’est l’absolu, celui auquel on aspire quand on est jeune et qu’on rêve toujours de retrouver. Quand on se sent éteint, c’est l’amour qui nous ravive. En fait, cette pièce m’a rendue vivante", lance Anne-Marie Cadieux, fébrile.
Pour Sébastien Ricard, jouer Armand Duval était une aventure tout aussi nouvelle et excitante. "Ce personnage est un concentré de rêves et d’idéal, doublé d’un homme d’action. C’est ce qui fait un héros de théâtre, un grand homme. Et c’est ce qui m’intéressait, cette espèce de kamikaze prêt à mourir pour cette femme", raconte le comédien, en ajoutant: "Il y a une certaine violence des sentiments dans cette virilité qui, au Québec, est impensable… On ne peut pas imaginer cette façon-là pour un homme d’aller vers une femme. Il y a quelque chose de très intéressant à chercher et à trouver dans cette virilité", dit-il.
Ce qui unit les deux amants ne relève pas du romantisme mièvre, assurent les deux interprètes, qui brûlent ensemble les planches pour la première fois. Le défi était donc de réussir à créer ce lien unique qui unit Armand et Marguerite, de révéler au public la vérité du sentiment amoureux. "Nous avons beaucoup travaillé, Sébastien et moi, pour rendre cela vibrant. La chimie, c’est quelque chose de mystérieux, il faut s’abandonner à l’autre. L’équilibre, c’est de garder notre intimité tout en l’offrant au public", confie Anne-Marie Cadieux.
MINIMALISME ET INTIMITÉ
L’adaptation de René de Ceccatty met justement l’accent sur la passion qui consume les personnages, laissant de côté les scènes de groupe ou de fêtes. Le metteur en scène Robert Bellefeuille a plongé tête première dans cet univers. "Robert a beaucoup insisté sur l’aspect fiévreux, toxique, risqué de cet amour. C’est un texte très écrit, une langue très littéraire et il aurait été dangereux que ça devienne un spectacle de beaux mots, de discours fleuri. Il devait y avoir un investissement total du corps", soutient Sébastien Ricard.
La mise en scène parie donc sur l’intimité inébranlable du couple, dans l’espoir qu’une symbiose encore plus grande surgisse entre la foule et les comédiens. L’histoire racontée étant un long flash-back, le public se retrouve plongé dans l’espace de la mémoire. "C’est pourquoi toute l’action se déroule dans un lieu unique et c’est la raison pour laquelle Robert l’a rendu onirique. Dans le décor, on sent les traces du passé. L’environnement rappelle celui de l’opéra La Traviata, épuré et grandiose à la fois", observe Anne-Marie Cadieux. Les costumes d’époque de François Barbeau nous ramènent à la fin du 19e siècle. Un chevauchement des temps qui rappelle que l’amour est intemporel…
Jusqu’au 30 septembre
Au Théâtre du Nouveau Monde
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UN PEU D’HISTOIRE…
Alexandre Dumas fils publie La Dame aux camélias en 1848. Dès sa parution, le roman obtient les faveurs du public et de la critique. À l’époque, nul n’est sans savoir que le jeune homme, alors âgé de 24 ans, révèle au grand jour la passion tumultueuse qu’il a entretenue avec Marie Duplessis, de 1844 à 1845. Cette dernière fut emportée par la tuberculose à l’âge de 23 ans, en 1847.
Au printemps 1851, la direction du Théâtre du Vaudeville, à Paris, accepte de mettre à l’affiche la version théâtrale de La Dame aux camélias. Cependant, Léon Faucher, ministre de l’Intérieur, fait interdire la représentation, jugeant l’oeuvre trop immorale. Le conservatisme de l’époque ne tolère pas que l’on fasse d’une courtisane une héroïne. La "première" a finalement lieu en 1852, grâce à un changement sur la scène politique. Le succès est instantané. Depuis, Verdi en a fait un opéra (La Traviata), John Neumeier, un ballet, et nombre d’adaptations cinématographiques ont vu le jour.
Pour sa version théâtrale de La Dame aux camélias, le romancier, essayiste, traducteur et critique René de Ceccatty, né à Tunis en 1952, s’est principalement inspiré du roman de Dumas fils parce que, dit-il, l’ouvrage "avait une tonalité particulière qui dépassait l’anecdote". De son propre aveu, il a écrit cette pièce avec une liberté totale, reprenant telles quelles une grande partie des scènes, reformulant certains passages selon ses propres impressions.
RENÉ DE CECCATTY EST EN VILLE!
Le mercredi 13 septembre, à 19 h 30, au Studio-théâtre de la Place des Arts, curieux et amoureux du théâtre sont conviés à une lecture publique de l’une des oeuvres de René de Ceccatty intitulée Le Mot amour. Les comédiens Brigitte Paquette et Didier Flamand interpréteront respectivement Maria Callas et Pier Paolo Pasolini, dans un texte où se côtoient des thèmes chers à l’auteur, soit la souffrance d’aimer et l’impossibilité de rejoindre l’autre. Billetterie: 514 842-2112.
Le vendredi 15 septembre, à 17 h 30, René de Ceccatty prendra d’assaut le Théâtre du Nouveau Monde pour entretenir le public sur l’ensemble de son oeuvre et raconter comment il a redonné vie à La Dame aux camélias. Entrée libre.