Marie-Ève Beaulieu : Scène biblique
Scène

Marie-Ève Beaulieu : Scène biblique

Marie-Ève Beaulieu endosse le rôle-titre de L’Évangile selon Salomé, un spectacle écrit et mis en scène par Alexandre Marine.

Depuis plus de dix ans, avec ou sans subvention, le Théâtre Deuxième Réalité persiste et signe. Avec L’Évangile selon Salomé, une pièce présentée seulement dix soirs sur la scène principale du Théâtre Prospero, la compagnie continue d’explorer le caché derrière le visible, de raconter le connu de manière inattendue. Cette fois, Alexandre Marine a décidé de donner la parole à Salomé, de laisser ce personnage biblique nous exposer, certains diront enfin, sa version bien personnelle des faits. Si les évangiles en ont fait l’incarnation même de la sournoiserie – le mythe de Salomé a été nourri par l’Église afin de mettre en garde les croyants contre les effets pervers de la danse et de la séduction féminine -, les nombreux peintres, écrivains et compositeurs qui l’ont dépeinte ensuite n’ont pas amélioré la situation. Qui n’a pas entendu parler de l’amour de Salomé pour Jean-Baptiste, du scandaleux baiser à la tête coupée et de la fameuse danse des sept voiles?

DE L’ACCUSATION AU PLAIDOYER

Rappelons les grandes lignes de l’intrigue: le roi Hérode Antipas (Vitali Makarov), séduit et impressionné par la danse de Salomé – la fille de son épouse Hérodiade (Monia Chokri) et de son frère Hérode Philippe (Igor Ovadis) -, s’engage à accomplir tout ce qu’elle demandera. À l’instigation de sa mère, Salomé exige la tête de Jean-Baptiste (Philippe Cyr). Dans la réécriture d’Alexandre Marine, où, pour des raisons que l’on suppose dramaturgiques, le personnage d’Abisag (Marina Eva) a été ajouté, Salomé raconte son histoire, proteste contre la description unilatérale des évangélistes et propose son propre évangile. C’est à Marie-Ève Beaulieu, que l’on découvrait l’an dernier en Louison dans Le Malade imaginaire dirigé par Carl Béchard au Théâtre du Nouveau Monde (spectacle qui sera repris en décembre prochain avant de partir en tournée à travers le Québec), que le metteur en scène d’origine russe a osé confier ce rôle de taille. Quel signe de confiance! Surtout quand on considère qu’il ne s’agit pour la comédienne que d’un deuxième emploi au théâtre.

Diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2004, Marie-Ève Beaulieu se glisse aisément dans la peau d’une enfant de 13 ans: "Je n’ai pas de difficulté à retrouver cet état. J’ai même déjà joué une fillette de 10 ans! Cela dit, dans ses monologues, Salomé parle avec un mélange de maturité et de candeur. Elle est beaucoup plus candide lorsqu’elle interagit avec les autres, mais dans ces moments de confession, on a accès à une âme qui est en quelque sorte intemporelle." Sur cette âme intemporelle, la mise en scène jetterait un regard moderne, se moquerait des deux millénaires qui nous séparent de ce récit. L’espace scénique serait dépouillé et évocateur, les costumes, on ne peut plus urbains et actuels. Il est question de musique en direct, de chants et de chorégraphies. Le sujet a beau être grave, biblique et ténébreux, la mise en scène offrirait une sérieuse dose d’humour. Étant donné les antécédents d’Alexandre Marine, on ne serait pas surpris qu’il fasse de l’histoire de Salomé une tragédie musicale aux accents rock.

Les grandes lignes de l’aventure demeurent inchangées, mais les motivations de Salomé sont plus nobles, mieux éclairées: "Alors que le récit biblique fait d’elle une coupable, la version d’Alexandre se porte à sa défense. Elle a toujours été perçue comme la figure pécheresse, le côté vil de la femme, séductrice, hystérique, alors que là, c’est la candeur et la naïveté. On voit qu’elle agit par amour, un amour pur." Cet amour, c’est celui que la jeune fille ressent pour le prophète: "Salomé tente de gagner Jean-Baptiste, seul élément de pureté qui lui soit accessible. Seulement, elle tente de le faire à la manière de sa mère, la plus grande pécheresse qui soit. Elle essaie d’entrer dans les mêmes perversions qu’elle, de passer par la sexualité, de marcher comme elle, de s’habiller comme elle… mais elle n’est pas encore rendue là. On la voit sans cesse hésiter entre manipulation et pureté."

Dans cette histoire, Salomé et Jean-Baptiste sont les deux seules sources d’humanité. Cette humanité, pourtant vivace, leur entourage finira par l’étouffer: "Salomé finit par comprendre que c’est la concupiscence qui mène tout. À la fin du spectacle, on peut imaginer qu’elle entre dans le jeu, qu’elle se coupe de sa nature profonde. Que pour survivre, elle entre dans le bal et fait taire ses élans humains."

Jusqu’au 23 septembre
Au Théâtre Prospero
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