Roger Sinha : Mémoires effectives
Roger Sinha célèbre les 15 ans de sa compagnie avec la reprise d’une pièce qu’il revisite pour la deuxième fois. Une rétrospective qui témoigne de son évolution et marque le début d’un nouveau cycle.
Roger Sinha répond aux questions de façon à la fois méthodique et sensible. Il communique comme il chorégraphie: c’est dense, fluide, affirmé et serein. Depuis les années 2000, il envoûte le public avec la finesse et l’originalité d’une gestuelle imprégnée de danse indienne, la puissance dramatique d’une esthétique épurée et l’impeccable précision de ses chorégraphies. Mais avant cela, il s’était fait connaître par une danse-théâtre mêlant humour et tragédie pour passer des messages concrets. Solo sur le thème du racisme, Burning Skin a été un immense succès. Trois ans plus tôt, en 1989, le duo Benches s’inspirait de Zoo Story, une pièce de théâtre d’Edward Albee traitant de la difficulté à sortir de l’isolement pour oser l’intimité.
"Quand j’ai eu la chance de retravailler la pièce sept ans plus tard pour le Winnipeg’s Contemporary Dancers, je me suis décollé du côté narratif (la rencontre entre deux personnes dans un parc) en augmentant le nombre de danseurs et de bancs, commente Roger Sinha. Aujourd’hui, j’enrichis la gestuelle en conservant des éléments de ce qui a été récurrent dans mes créations." La structure de la pièce reste la même, mais tous les mouvements sont nouveaux, le rythme est accéléré et il y a du texte. Pas trop, paraît-il. Il est rédigé par le chorégraphe, qui profite de son retour à la scène pour l’investir différemment. "Mon implication physique est moins importante que celle des autres danseurs et j’ai une place particulière, explique-t-il. J’improvise souvent et je dis mes textes. Ils parlent de l’importance de la mémoire…"
Benches, des bancs en forme de balançoires, précaires passerelles entre les êtres qui éloignent bien mieux qu’elles ne rapprochent, quand elles catapultent les corps en équilibre toujours fragile. "Benchmarks" sans doute aussi, pour Roger Sinha: des repères dans le temps, des balises sur le chemin de vie de ce fils d’un Indien et d’une Arménienne établi au Canada en 1968 et parti faire ses études au Toronto Dance Theatre dès 1983. En racontant sur scène ce qui l’a inspiré dans cette pièce et pourquoi il l’a retravaillée deux fois, l’artiste dit ce qu’il a été et ce qu’il est devenu. "J’ai beaucoup changé de style dans les années 90, mais c’était sans vraiment y penser, se souvient le chorégraphe. Je laissais plus faire le hasard. Aujourd’hui, j’apprécie le fait d’avoir une vision et j’essaye de la pousser le plus loin possible. Après avoir mis l’accent sur le vocabulaire chorégraphique ces dernières années et m’être surtout intéressé à l’art du mouvement, j’ai le goût de brasser des idées. Mon désir est de pousser le côté théâtral plus loin parce que je m’amuse plus comme ça."
Les pièces de danse-théâtre de Roger Sinha ont beau être porteuses d’un sens parfois tragique, elles comprennent toujours une dose d’humour qui, selon lui, permet aux esprits de se détendre et de s’ouvrir pour mieux apprécier la danse. Celle-ci s’avère une fois de plus complexe, précise et exécutée avec rapidité. "Dans une société où tout va très vite, je pense que la nouvelle virtuosité réside dans la vitesse, la complexité et le souci du détail, déclare le créateur. Pour moi, c’est important de faire une danse très physique parce que la vitesse permet d’accentuer l’émotion que je cherche à exprimer."
Avec cette pièce, Roger Sinha renoue aussi avec son goût du risque en demandant des prouesses à ses interprètes tout en leur imposant parfois des conditions d’exécution plutôt périlleuses. Partenaires de longue date pour la plupart, ils sont heureusement habitués à ses exigences et aux nombreuses spécificités de sa gestuelle. Et comme pour mieux mesurer le temps passé et le chemin parcouru par chacun, Roger Sinha s’est entouré des mêmes collaborateurs que dans la création de 1996. Un moment historique dans le parcours de cet artiste en pleine fleur de l’âge. Un anniversaire dignement célébré.
Jusqu’au 16 et du 20 au 23 septembre
À l’Agora de la danse
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