Aux hommes de bonne volonté : De feu et de glace
Scène

Aux hommes de bonne volonté : De feu et de glace

Aux hommes de bonne volonté lance un cri de révolte, un cri d’amour porté par un spectacle audacieux, dans son propos comme dans son esthétique.

La famille de Jeannot, décédé à 15 ans, et son ami Serge se réunissent chez le notaire pour entendre ses dernières volontés, en un huis clos étrange. À travers son testament, étonnant document écrit au son qui mène le notaire hors de son rôle de simple émissaire, Jeannot s’adresse à ses proches; il leur lègue ses quelques biens, règle ses comptes avec eux et avec la société.

Le cadre de cette réunion: un décor (Jean Hazel) comme une boîte allongée et ouverte, en blanc et noir, occupant toute la largeur de la scène; de chaque côté, le public. C’est dans cet espace long, étroit, lisse, que se disent les vérités, que se font les aveux: froideur du monde ambiant, des relations, "manke damour", comme le crie Jeannot, pétrification des personnages dans la routine, éloignement.

Toute l’esthétique du spectacle reflète les enjeux de la pièce et interroge: où sont vraiment la vie et la mort? Décor, éclairage, très rares effets sonores, déplacements montrent vide et froideur; on se touche très peu, on se tient au bord de frontières en apparence infranchissables. Les mines, les costumes, les maquillages: tous sombres. Seuls personnages colorés: la mère, folle aussi intense que son fils dans son appétit de vivre, Serge, l’ami qui a tant aimé Jeannot, et le notaire, représentant du défunt.

Dans ce désert, les comédiens éblouissent. Mentionnons Denise Verville, magnifique, dégageant énergie lumineuse et folie; Roland Lepage, plein d’humilité, d’humanité, tout entier consacré à son art, et qui livre une très touchante interprétation. Un brin de nervosité semblait par moments freiner, lors de la Première, l’aisance de Lucien Ratio dans le rôle de Serge; aussi rebelle que vulnérable, son personnage prendra, on l’imagine, toute son ampleur au fil des représentations.

Le texte de Jean-François Caron, dense, mélange rythmes, images, émotions; voyageant à travers les zones d’ombre, il nous mène, par des détours inattendus, à une finale très belle. La mise en scène de Gill Champagne, riche de symboles, ouvre la voie au plaidoyer brûlant de Jeannot et à la fragilité de tous les personnages. Spectacle surprenant, Aux hommes de bonne volonté offre une singulière parole d’auteur, que sert une mise en scène épurée, pleine de rigueur.

Jusqu’au 14 octobre
Au Grand Théâtre
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