Frédéric Dubois : Au coeur du risque
Depuis le début de sa jeune carrière, Frédéric Dubois accumule les succès. Son approche ludique et efficace impressionne et donne le goût du théâtre. À l’aube du 10e anniversaire de sa troupe, Voir a voulu faire le point avec lui.
Joint à Ottawa, où il répétait au CNA la version anglophone du spectacle pour enfants La Librairie, Frédéric Dubois répond avec vivacité à la première question posée, et ce, malgré l’heure abusivement matinale de ce dimanche d’automne: "Le plus fondamental au théâtre pour moi, c’est la rencontre! Avec l’auteur, avec l’équipe, avec le public, il faut que la rencontre se passe. C’est cette accumulation de chocs entre les gens qui me fascine. Quand tu rencontres quelqu’un pour la première fois, tu ne sais pas où ça va aller. Tu ne sais pas par quelle chicane ou par quel french ça va finir… C’est l’inconnu! Pour moi, c’est ça qui est fondamental: c’est le risque de la rencontre, le risque de tenter la vie, le risque de toujours y aller… Le risque de dire: "Je ne reste pas ici, j’avance!""
Et le risque d’avancer, Frédéric Dubois ne l’a jamais évité. Avec quelques amis, en première année du Conservatoire, il fonde le Théâtre des Fonds de tiroirs (FDT), qui deviendra sa seconde école. "Quand on est à l’école, on a l’impression qu’il n’y a que ça. Que c’est le centre de l’univers. Avec les Fonds de tiroirs, on appliquait les trucs qu’on venait tout juste d’apprendre. Des fois, je me rendais compte que ça ne marchait pas. Il fallait donc que je trouve comment moi, je voulais faire du théâtre. Ça m’a forcé rapidement à trouver mon propre langage. Je devais faire mon chemin à travers les choses avec lesquelles j’étais en accord et celles avec lesquelles j’étais en désaccord et qui me faisaient chier. D’avoir une compagnie m’a permis de faire fuck you à tout ça. Je me disais: "Mangez de la marde, moi, je vais faire ce que je veux et comme je le veux! Vous ne me direz pas si j’ai tort ou si j’ai raison." Ça a été très libérateur à l’époque, mais ça m’a aussi permis de découvrir ce que je voulais dire et comment je voulais le dire."
Rapidement, la réputation du jeune metteur en scène se fait connaître. On le recherche pour son approche ludique et pour l’intelligence et la sensibilité dont il fait preuve à la lecture des textes. Les offres se multiplient, et on retrouve rapidement sa signature sur les grandes scènes de la capitale. Au fil des saisons, on retient surtout le plaisir du théâtre qui émane des spectacles qu’il dirige. "On travaille dans des conditions qui sont souvent difficiles. Je dis toujours à ma gang: "On se fait pas chier! On se fait du fun!" De toute façon, au théâtre, les choses se passent quand on travaille dans un état d’esprit complètement libre. C’est cet état de disponibilité que j’aime et que je recherche."
Parallèlement à ses contrats de mise en scène, Dubois continue d’animer les FDT. "Après l’école, du moment qu’on a commencé à travailler pour d’autres troupes, il a fallu questionner à nouveau le rôle des Fonds de tiroirs. Si on y fait la même chose qu’on fait ailleurs, à quoi ça sert d’avoir notre troupe? On a donc décidé d’aiguiser notre goût du risque et de plonger dans des projets fous comme Vie et Mort du roi boiteux."
LA TENTATION DE LA CRÉATION
À la suite de ses nombreux succès, la tentation de la création a fini par surgir au sein de la troupe. Depuis quelques années, les FDT ont entrepris de s’éloigner des textes existants pour construire leur propre répertoire. Mais l’entreprise ne s’est pas faite sans heurts. Bien que prometteuse par les objectifs visés, l’aventure de l’atelier Autour du boiteux n’a pas donné les fruits escomptés. Même constat pour le projet Richard Fortin défiguré, qui devait être joué l’hiver prochain au Périscope et que les FDT viennent tout juste de retirer de la programmation.
Sans détour et avec beaucoup d’humilité, Frédéric Dubois admet que ce furent des expériences difficiles. "La création est un mode de travail que je ne connaissais pas. Ça a été très confrontant pour moi et ça m’a forcé à me poser de grandes questions. Je me suis rendu compte que je n’arrive pas à utiliser 100 % de mes capacités quand je suis dans un processus qui part de rien. Il y a quelque chose en moi qui ne débloque pas. C’est un univers dans lequel je n’ai pas la même facilité, et il vient un point où je ne sais plus quoi faire pour m’en sortir… C’est dur, mais tant mieux! Il faut avoir la possibilité de rentrer dans un mur et de se cogner comme du monde! S’il n’y a pas ça, on tombe dans des zones confortables. Ce serait tellement plus facile de rentrer chez soi après le travail, d’allumer la télé, de fumer un pétard et de ne plus se poser de questions. Mais ce n’est pas ça le théâtre!"
Grâce à ces expériences plus ardues, Frédéric Dubois tire des leçons et repousse ses limites. Avec Yasmina Giguère (scénographe) et Pascal Robitaille (musique), ses complices de toujours, il comprend l’importance de respecter le rythme de chacun dans le travail de création. "On a réalisé qu’il faut se donner du temps pour créer." Justement, l’artiste aura la possibilité de tester son apprentissage de la création dans un troisième projet. À l’invitation de Jacques Leblanc, directeur artistique de la Bordée, Frédéric Dubois amorce cette année un cycle dédié à l’oeuvre de Tchekhov. Tout au long de la saison, il aura la possibilité d’explorer les écrits du dramaturge russe au cours d’ateliers réunissant huit comédiens. "C’est vraiment magnifique ce que Jacques Leblanc m’a offert. L’oeuvre de Tchekhov est tellement dense que j’avais besoin d’ouvrir des portes tranquillement, et c’est exactement ce que je vais pouvoir faire dans ce cycle."
DE MAMET À LABUTE
En plus du cycle Tchekhov, l’automne de Frédéric Dubois s’annonce chargé. Dès la fin octobre, il signera la mise en scène de Glengary Glenn Ross de David Mamet pour le Théâtre du Dream Team. "Je suis fasciné par l’écriture de David Mamet! Je ne la connaissais pas du tout et je me rends compte qu’elle est très difficile. Tout est dans la tactique de l’acteur. Tu ne peux pas tomber dans la caricature des personnages. Il faut que ce soit joué le plus près possible de ce que c’est. Sinon, ça ne fonctionne pas. Ça va être un beau défi pour toute la production et ça va me forcer à raffiner ma direction des acteurs."
Après le Mamet, Dubois renouera avec les FDT. Pour amorcer l’anniversaire de la première décade de la troupe, il dirigera La Forme des choses de l’Américain Neil Labute. "Quand on s’est rendu compte qu’on était allés jusqu’au bout du processus avec Richard Fortin défiguré, on a décidé d’arrêter le projet. Ce qui est formidable, c’est qu’on a pu trouver cette pièce de Labute, qui aborde les mêmes préoccupations autour de l’art et de l’interprétation de l’art. Ça nous permet de dénoter et de dénoncer les mêmes problématiques et de conserver la même distribution que dans Richard Fortin."
Pour l’heure, Frédéric Dubois part pour la France, où il entend construire un réseau pour de futures tournées. "Quand on a fait Vie et Mort du roi boiteux, j’ai pensé que ce pourrait être un show ambassadeur de notre théâtre. Je vais en Europe pour démystifier la machine des tournées. On prend notre temps, mais on est en train de trouver des appuis solides pour pouvoir faire voyager nos spectacles."
Les Laboratoires Tchekhov
Le 23 octobre, 20 novembre, 5 mars et 2 avril
Au Théâtre de la Bordée
Glengarry Glenn Ross
Du 24 octobre au 11 novembre
À Premier Acte
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