Catherine Bourgeois : Porter le deuil
Scène

Catherine Bourgeois : Porter le deuil

Catherine Bourgeois dirige Go shopping [et fais le mort], la troisième création de la compagnie Joe Jack et John.

En septembre 2001, au lendemain d’un attentat qui a profondément marqué l’Amérique, George W. Bush se présente devant son peuple en état de choc avec un message troublant: "Take the plane, go to our great destination spots, go to Disney World, go shopping." Pourquoi inviter toute une nation endeuillée à faire comme si de rien n’était, à se rabattre sur la consommation comme sur un remède? Pour Catherine Bourgeois, conceptrice et metteure en scène de Go shopping [et fais le mort], la troisième création de la compagnie Joe Jack et John, après Quand j’étais un animal et Ce soir l’Amérique prend son bain, cette déclaration du président américain cristallise le rapport de plus en plus névrotique que la société occidentale entretient avec la mort: "J’avais déjà l’intention d’aborder le deuil quand je suis tombée sur les mots de Bush. Cette déclaration a été une porte d’entrée, un moyen de traiter la question sans être trop psychologique ou personnelle, en amenant une perspective plus globale."

Pour imaginer sa performance multidisciplinaire sur fond de critique sociale, Catherine Bourgeois avoue qu’elle a tout de même puisé dans son histoire personnelle: "J’ai utilisé mon propre cheminement de deuil pour créer le spectacle. C’est ce qui m’a amenée à réfléchir sur ce que la société offre à la personne en deuil." La mort, on la cache, on l’évacue de nos grands récits aussi bien que de notre quotidien, un quotidien dont le dernier cérémonial serait vraisemblablement le magasinage: "La consommation et le divertissement, sous toutes ses formes, sont des leurres, des engourdissements momentanés."

Go shopping [et fais le mort] s’intéresse au parcours de quatre naufragés, des individus qui procèdent, dans notre monde mercantile, à l’inventaire des petites et des grandes pertes de leur vie. Pascal (Jean-Pascal Fournier, acteur de la relève) consacre toutes ses énergies à nier le caractère inéluctable de la mort. Marco (Marc Barakat, comédien ayant un handicap intellectuel) n’hésite pas à réfléchir sur la question. Avec un mélange de lucidité et de naïveté, il tente de s’expliquer le départ de ceux qu’il aime. Maria (Marina Lapina, actrice d’origine russe) ressent une véritable fascination pour la mort. Elle prend plaisir à flirter avec le danger et l’éventualité de sa propre fin.

Au coeur de la pièce, Jeanne (Élisabeth Chouvalidzé, grande dame du théâtre d’ici) vient de perdre son mari. On découvre rapidement que sa douleur en cache une autre, bien plus vive. Sous le deuil récent, il y en a un autre, bien plus lourd, qu’elle aurait dû "faire" il y a déjà 50 ans. À 74 ans, Jeanne planifie méthodiquement son suicide, elle est résolue à mourir: "Un deuil peut ressurgir, même 50 ans plus tard, sous une forme ou sous une autre, insiste Catherine Bourgeois. Il faut vivre tous nos deuils, au jour le jour, les petits comme les grands, il faut affronter la peine et en sortir grandi."

Du 13 au 29 octobre
Au Théâtre La Chapelle
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