Paul-André Fortier : Le fou dansant
Paul-André Fortier nous fixe 30 rendez-vous sur la rue Sainte-Catherine pour voir le solo qu’il a déjà dansé contre vents et marées dans les espaces urbains de Newcastle, Nancy, Yamaguchi et Ottawa. Boîtes à lunch et parapluies acceptés.
Le projet du Solo 30×30 est sans doute l’un des plus fous et des plus stimulants qui aient été conçus ces dernières années à Montréal. C’est en tout cas celui où le chorégraphe Paul-André Fortier a pris le plus de risques. À l’approche de la soixantaine, ce pionnier de la danse contemporaine au Québec a choisi de sortir des théâtres pour soumettre son art à l’épreuve de la durée et du climat: pendant 30 jours consécutifs, toujours au même endroit, beau temps, mauvais temps, il présente son solo de 30 minutes. Et dans chaque ville où il passe, il sert de prétexte à une ou plusieurs créations par des artistes locaux.
À ce jour, le chorégraphe-performeur a déjà été glacé par les vents de mars sur un pont magnifique enjambant une rivière à Newcastle, en Angleterre, et il a fondu dans la moiteur de l’été nippon en dansant au coeur d’un quartier commerçant de Yamaguchi. Entre-temps, il avait profité du mois de mai pour fleurir le macadam français sur le toit d’un abri technique de la gare ferroviaire de Nancy, juste avant de s’inscrire dans les festivités du Festival Danse Canada à Ottawa. C’est dans ces deux villes qu’il a dû faire face à la violence verbale et parfois même physique de passants mal intentionnés.
"C’est sûr que les agressions font mal, mais la rue appartient à tout le monde et je sais que je m’expose aussi à ça, reconnaît-il. Je n’y suis pas en sécurité et c’est là que je me rends compte de toutes les conventions de la représentation auxquelles on est habitué en salle: les gens payent, ils sont tous assis dans le noir et orientés dans le même sens, ils ne voient pas les réactions de leurs voisins et c’est bien rare qu’ils se permettent de gueuler parce qu’ils ne sont pas contents, surtout au Québec. Alors que dans la rue, ce n’est pas un public d’initiés et il y a toutes sortes d’attitudes."
Qu’il y ait du monde ou pas, que les gens aiment ou pas, il faut continuer à danser. Même quand le corps est fatigué et les membres engourdis. "C’est une épreuve physique, mais il y a quelque chose de l’ordre de la quête, de la méditation", explique celui qui préfère désormais se qualifier d’homme qui danse plutôt que de danseur. "C’est mon chemin de Compostelle à moi."
RÉVEILLER QUELQUE CHOSE
Paul-André Fortier attend d’avoir traversé ses 30 jours à Montréal et d’avoir ainsi bouclé la boucle de ce périple initiatique pour relire les notes prises après chacune de ses performances et tenter de faire le premier bilan de cette fantastique aventure. Pour l’heure, il sait qu’il a gagné en authenticité et qu’il ne pourra plus jamais chorégraphier comme avant. Il sait aussi que danser n’est pas vain. C’est son public impromptu qui le lui a prouvé.
"Ce qui m’a le plus touché, ce sont les gens qui se sont attachés au spectacle et qui sont revenus très souvent, raconte ce créateur de poésie urbaine. Des jeunes qui n’avaient jamais vu de danse et qui sont venus me dire: "On ne comprend rien à ce que vous faites mais on est impressionnés que vous soyez là tous les jours. Vous réveillez quelque chose en nous." D’autres ne m’ont jamais adressé la parole mais sont venus tous les jours. Je devais bien leur apporter quelque chose…"
Des yeux brillants d’admiration et de reconnaissance, Paul-André Fortier en a croisé au moins autant qu’il a reçu de témoignages verbaux encourageants. Par exemple, ceux de personnes qui ont posé un autre regard sur leur ville grâce à sa présence. Une dame âgée à Ottawa qui a découvert que la danse n’avait pas besoin de musique et que sa ville était "très musicale". Ce jeune père de famille revenu plusieurs fois avec femme et enfants et fasciné par le solo au point de vouloir se lancer dans l’expérience de la danse avec le chorégraphe. Ou encore, ces Japonais venus souligner le caractère hautement spirituel de l’expérience. "À Yamaguchi, je dansais au-dessus d’une rivière, se souvient-il. Des spectateurs sont venus me dire que c’était comme si l’énergie me venait du ciel, transitait par moi et partait dans le courant de la rivière pour être disséminée. C’est sûr que ce n’est pas le genre de commentaires qu’on vient me faire dans une loge…"
C’est donc à l’heure du lunch sur la rue Sainte-Catherine que Paul-André Fortier atteindra le nombre de 120 représentations pour le Solo 30×30. On ne sait pas pourquoi la direction de la Place Ville-Marie a refusé cette expérience qui ajoutera de la vitalité dans la grisaille de la fin d’automne, mais on recommande vivement à quiconque de la déguster par petites bouchées et sans modération.
Du 20 octobre au 18 novembre à 12 h 15
Sur un terrain vague à l’angle nord-ouest des rues Sainte-Catherine et Clark
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