GBCM : Le gars des vues
Les GBCM ouvrent leur 50e saison avec le Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot. Une oeuvre d’une extraordinaire modernité.
Que ce soit dans un livre, en musique, au cinéma ou sur une scène, on a tous eu au moins une occasion de pleurer sur les amours tragiques de Roméo Montaigu et Juliette Capulet, projetés dans la mort par la haine opposant leurs familles respectives. Le milieu de la danse à lui seul compte plus de 80 adaptations de cette oeuvre de Shakespeare. Signée en 1996 par Jean-Christophe Maillot, celle que présentent les Grands Ballets Canadiens de Montréal (GBCM) est de nature à revitaliser le ballet classique tout autant que l’histoire des amants de Vérone, dépeints sous l’angle de leur psychologie et de leur sensualité bouillonnante. Parfois qualifié de postclassique, le style de ce chorégraphe français quadragénaire se caractérise par une gestuelle très actuelle, une théâtralisation subtile et une approche cinématographique développée dans toutes ses créations. Occupé à tourner le film du ballet de Cendrillon, il a dépêché son assistante artistique Giovanna Lorenzoni pour peaufiner la version remontée à Montréal en 2004.
"La musique de Prokofiev est constituée de petits morceaux de trois ou quatre minutes que Jean-Christophe a utilisés pour structurer la dramaturgie de la pièce, explique la maîtresse de ballet. Je m’appuie d’ailleurs beaucoup sur son travail sur la partition." Divisé en trois actes, ce Roméo et Juliette est donc une succession de séquences qui, comme au cinéma, racontent l’histoire par touches dramatiques qui créent progressivement une tension jusqu’au climax précédant la résolution. Mais le lien entre structure musicale et chorégraphie ne s’arrête pas là.
Dans la lignée de Balanchine, Jean-Christophe Maillot compose une gestuelle d’une grande musicalité. "Par exemple, dans les scènes du corps de ballet du premier acte, les Montaigu et les Capulet sont structurés sur des valeurs musicales bien précises avec le vocabulaire particulier qui y correspond, commente Giovanna Lorenzoni. C’est comme une partition. Aussi, chaque mouvement a une valeur dramatique. Chaque geste signifie quelque chose." Fasciné par Pina Bausch, grande prêtresse de la danse-théâtre, Jean-Christophe Maillot en subit l’influence tout en développant un style très personnel qui donne au mouvement un caractère narratif sans que la dimension théâtrale n’empiète sur la danse pure. Inspiré par Cunningham, le père de la danse contemporaine, il élabore une structure géométrique pour créer une architecture chorégraphique solide et cohérente.
Ceux qui ont vu la première mouture de la reprise par les GBCM ont aussi été éblouis par la modernité de la scénographie et de la mise en scène. Dans cette version, Jean-Christophe Maillot utilise le personnage de Frère Laurent comme figure principale: l’histoire racontée est puisée à même ses souvenirs. "Ce personnage est construit sur la musique que Prokofiev a choisie pour l’entrée du Duc, poursuit Giovanna Lorenzoni. Jean-Christophe s’en sert comme d’un leitmotiv qu’il a réintroduit dans le premier acte. Et à chaque fois qu’il intervient, il y a un arrêt sur image pour signifier que ce qu’on voit se passe dans sa tête." L’effet est très réussi et la caractérisation très claire de chaque personnage contribue à captiver le spectateur.
Présentée pour la première fois à l’hiver 2004, la pièce avait séduit le public autant que la critique. Elle acquiert aujourd’hui une nouvelle maturité qui, selon Giovanna Lorenzoni, la rend encore plus savoureuse malgré des changements importants de casting. Elle souligne plus particulièrement la prestation de Mariko Kida, fabuleuse Juliette au bras d’Hervé Courtain, la seconde distribution étant toujours composée de Callye Robinson et de Jeremy Raia, très justes dans leur interprétation. Un spectacle de grande qualité qui surprend par sa façon d’actualiser le genre classique.
Du 19 octobre au 4 novembre
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts
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