Couche avec moi (c’est l’hiver) : La morsure du froid
Couche avec moi (c’est l’hiver), une pièce coup-de-poing de Fanny Britt mise en scène avec un extraordinaire dynamisme par Geoffrey Gaquère.
Avec Couche avec moi (c’est l’hiver), Fanny Britt frappe non seulement très fort, mais exactement là où il le faut: dans le coeur de plus en plus glacé des trentenaires. Écrire à propos de ce qui se déroule ici et maintenant, oser dépeindre les déboires de ses contemporains, cela présente un risque énorme. Ce risque, la jeune dramaturge au regard bienveillant, mais aux griffes bien acérées, a su le prendre, sans l’ombre d’une retenue. Son audace, Geoffrey Gaquère l’endosse pleinement, en signant une mise en scène d’une redoutable efficacité.
Entendons-nous bien, le propos n’a rien de très nouveau: nombre de créateurs avant Fanny Britt ont décrit la galerie de personnages plus ou moins contusionnés qui les entourent, mais la chose a très rarement été faite avec si peu de complaisance, avec autant d’intransigeance. De l’humoriste à succès imbu de lui-même (pardonnez la tautologie) à l’auteure-compositrice hypocondriaque en passant par le couple qui vit très mal le fait d’être "ben ordinaire", les portraits sont truculents et malgré tout nuancés. Envers une société hypersexuée où tout se consomme, où des individus sont prêts à faire des bassesses pour obtenir argent et renommée – même à pervertir l’art et enfreindre la vie privée -, les répliques sont particulièrement cinglantes. Comme on dit, ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle. Dans les habits de Gillian, une Britannique sans attaches, Julie McClemens est, encore une fois, étonnante. Comme elle, Éva Daigle, qui interprète Suzanne, une fille empêtrée dans une interminable quête identitaire, passe de l’humour au désespoir avec une agilité remarquable. Martin Laroche est plus vrai que nature dans la peau de l’humoriste bravache. Toute ressemblance avec une personnalité du monde du spectacle est, bien entendu, le fruit du hasard. Quant à Stéphan Allard et Ansie St-Martin, ils expriment avec nuances les tourments de Pierre et Millie.
Ingénieuses et évocatrices, les conceptions – la scénographie de Jean Bard, les éclairages de Lucie Bazzo, la musique originale de Nicolas Basque – communiquent à la représentation un rythme délirant. Le train démarre à la première seconde du spectacle pour ne s’arrêter qu’à la toute fin, nous laissant essoufflés, mais surtout stimulés, incités à vivre plus intensément, en accord avec nos convictions les plus profondes. S’il faut bien admettre que le convoi de Geoffrey Gaquère rappelle clairement celui que Claude Poissant (son mentor) avait mis sur les rails pour Le Traitement de Martin Crimp, la chose n’est jamais gênante. Après tout, il s’agit presque d’une première mise en scène pour le comédien d’origine belge: il a encore le temps de trouver une signature qui lui soit propre. D’ici là, le spectacle coproduit par le Théâtre PàP et le Théâtre de la Bordée est une authentique réussite, une création qu’on peut déjà prendre le risque de classer parmi les moments forts de la saison.
Jusqu’au 11 novembre
Au Théâtre Espace GO
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Le Traitement de Martin Crimp
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