Lucy : Traces
Lucy, avec humour et sensibilité, à travers images, dialogues contemporains et mouvements sans âge, pose des questions fondamentales dans un spectacle qui émeut profondément.
Riche création des Nuages en pantalon, Lucy défie presque le résumé. Dans ce spectacle, qui conjugue époques et lieux, plusieurs destins se croisent. On y retrouve un jeune couple profondément amoureux: Jean-François, anthropologue québécois, et Anne, qu’il cherche à retrouver depuis que, dans des circonstances un peu particulières, ils se sont laissés abruptement dans le désert du Nevada. On y rencontre aussi Jim, marqué par le souvenir de sa rencontre fulgurante avec Solange, Québécoise venue aux États-Unis chercher la célébrité, Allison, jeune photographe, et Frank, un Français exilé. Leurs histoires convergent à Beatty, ville perdue dans le désert du Nevada. Entre eux passe Lucy, notre ancêtre dont le squelette fut découvert en 1974 en Éthiopie, présence constante, douce et très forte, image symbolique de nos racines qui, malgré la modernité, plongent dans un passé millénaire et nous lient à nos plus lointains ancêtres.
Dans sa mise en scène, Jean-Philippe Joubert fait appel à une esthétique aux ressources multiples. Pour décor, une dune de sable avec, en fond de scène, un écran divisé en plusieurs sections sur lequel s’imbriquent projections, photos, suggérant lieux, déplacements, mais aussi impressions furtives, souvenirs. Ainsi apparaît dans le spectacle une dimension indicible, celle de la vie intérieure des personnages dans laquelle plonge, et se reconnaît, le regard du spectateur. À cela s’ajoute musique en direct, jeu excellent et mouvements chorégraphiés des comédiens et de la danseuse Arielle Warnke St-Pierre, incarnation fine et magnifique de Lucy. Ces passages chorégraphiés, touchants, pleins d’intensité, sont comme les empreintes, la pulsation, en chacun, des origines et de notre condition.
Mêlant intrigues, époques, Lucy est une pièce dense, touffue, par tous les sujets qu’elle aborde. Si on a parfois l’impression qu’elle ratisse un peu trop large, que certaines scènes demanderaient à être un peu resserrées, il résulte de cet impressionnant travail de création un spectacle plein de profondeur. Une réserve, cependant: une très large portion des dialogues sont en anglais. S’ils traduisent bien sûr la perte de repères de francophones en terrain étranger, ces passages, d’un point de vue strictement pratique, bloquent pour plusieurs spectateurs la compréhension. On regrette que les créateurs n’aient pas utilisé les surtitres, malgré leur inesthétisme, ou une autre forme, même incomplète, de traduction, essentielle, semble-t-il, dans une ville francophone. Dommage: voilà un des seuls bémols à ce spectacle plein d’humanité, offrant des moments de pure beauté.
Jusqu’au 4 novembre
Au Théâtre Périscope
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