Yves Desgagnés : Chef de troupe
Scène

Yves Desgagnés : Chef de troupe

Yves Desgagnés, à la tête d’une talentueuse équipe de comédiens et de concepteurs, réitère son dévouement envers Anton Tchekhov.

Après avoir signé la mise en scène de Tchékov Tchékhova (une pièce de François Nocher inspirée des correspondances de Tchekhov et Olga Knipper), Ivanov et Les Trois Soeurs, Yves Desgagnés n’hésite pas un instant à pousser plus avant son exploration de la dramaturgie tchékhovienne. Cette saison, il s’est engagé à monter non pas une, mais bien deux pièces du grand écrivain russe. Avec la même équipe de comédiens et de concepteurs, le charismatique homme de théâtre dirige d’abord Oncle Vania, en ce moment même à l’affiche de la compagnie Jean Duceppe, puis La Mouette, sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde à compter du 6 mars.

Mais qu’est-ce qui ramène toujours Yves Desgagnés à Tchekhov? Probablement la conviction que l’essentiel de la condition humaine se trouve soigneusement cristallisé dans les personnages terriblement humains du dramaturge: "Tchekhov n’a pas été dépassé dans une seule de ses répliques. C’est le père de la dramaturgie moderne. Il était tellement innovateur que Stanislavski a été obligé d’écrire une méthode pour faire comprendre à ses acteurs comment le jouer. Il est aussi le prédécesseur de Samuel Beckett. Il aborde le sens de la vie, l’immobilisme et la conscience d’être, peut-être, observé par quelqu’un. Sartre n’a pas émis une seule idée qui soit plus profonde que celles émises par Tchekhov. Il n’a écrit que cinq pièces et ce sont cinq chefs-d’oeuvre. Chaque fois, la structure dramatique est impeccable."

TCHEKHOV, NOTRE CONTEMPORAIN

Yves Desgagnés, qui peaufine actuellement une adaptation filmique, contemporaine et québécoise de Roméo et Juliette, se plaît à dire que les pièces de Tchekhov collent parfaitement à notre réalité: "C’est le plus moderne et le plus québécois des auteurs russes. Si les Québécois aiment tant Tchekhov, c’est que c’est totalement nous. Quelqu’un qui n’aurait pas lu le programme pourrait croire que Tchekhov est un auteur québécois. Il faut savoir qu’en Russie, le climat, la grandeur du territoire et l’agriculture sont les mêmes qu’ici. Il y a la canicule durant l’été et les grands froids durant l’hiver. C’est peut-être curieux, mais quand on s’attarde au climat, on s’attarde aussi à toute une façon de vivre, à toute une économie. Ma théorie est la suivante: tout ça doit former des âmes particulières. J’ai l’impression que ça a fait naître des gens très proches de nous parce qu’ils ont eu à survivre dans un environnement comme le nôtre."

C’est cette criante actualité qui éloigne le metteur en scène de toute tentative de transposition ou de modernisation: "Oncle Vania, c’est plus actuel aujourd’hui qu’il y a 15 ans. Le personnage d’Astrov tient un discours écologique absolument incroyable. On a peine à croire que sa lutte pour la survie des forêts date d’il y a 100 ans. Je viens d’entendre les mêmes mots dans la bouche de Richard Desjardins! Les personnages de Tchekhov sont constamment préoccupés par la manière dont les hommes vivront dans 100 ans. Eh, bien, là, on est 100 ans plus tard! C’est pour ça que j’ai tenu à le monter "d’époque", pour que les spectateurs puissent mesurer le chemin parcouru, ou non."

Dans sa troupe idéale, le metteur en scène a réuni douze comédiens: Jean-Pierre Chartrand, Henri Chassé, Michel Dumont, Kathleen Fortin, Maxim Gaudette, Maude Guérin, Roger La Rue, Jean-Sébastien Lavoie, Patricia Nolin, Gérard Poirier, Catherine Trudeau, Kim Yaroshevskaya et huit concepteurs: Elizabeth Bourget et René Gingras à la traduction, Stéphane Roy au décor, Judy Jonker aux costumes, Éric Champoux aux éclairages, Catherine Gadouas à la musique, Normand Blais aux accessoires et Claude Lemelin à l’assistance à la mise en scène.

À la tête d’une équipe qui lui est entièrement dévouée, ou presque, Desgagnés en a long à dire sur les avantages de créer en troupe: "Je ne comprends pas comment il se fait qu’au Québec le théâtre ne se fasse pas plus en troupe. Au théâtre, ce qui est spectaculaire, c’est l’impalpable. Eh, bien, cette chose-là, on ne l’atteint pas en six semaines. Il faut que les acteurs se connaissent, il faut qu’ils comprennent leurs différents systèmes de valeur, qu’ils se fassent suffisamment confiance pour donner à voir des gens qui vivent, sans artifice."

CV

Dernier-né d’une famille de onze enfants, Yves Desgagnés est un vrai touche-à-tout. Professeur à l’École nationale de théâtre, membre de la Ligue nationale d’improvisation, comédien, auteur, metteur en scène et maintenant cinéaste, l’homme se moque des étiquettes. Il s’approprie les mots de Victor-Lévy Beaulieu avec autant de conviction que ceux de Michel Tremblay ou Fabienne Larouche. C’est en 1981 qu’il commet sa première mise en scène: Fais-moi mal juste un peu d’Elizabeth Bourget. Depuis, il a créé les textes de Michel Marc Bouchard, René Gingras, Marie Jones et bien d’autres. Au Théâtre du Nouveau Monde, il a mis trois fois Shakespeare sens dessus dessous. En 2005, l’homme-orchestre ajoute un nouvel instrument à son attirail: la caméra. Après Idole instantanée, Roméo et Juliette, son second film, devrait être dévoilé cette année. D’ici là, Yves Desgagnés continue son avancée passionnante et passionnée dans l’infini territoire tchékhovien.

Oncle Vania
Jusqu’au 2 décembre
Au Théâtre Jean-Duceppe
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