Alexandre Goyette : David contre Goliath
Scène

Alexandre Goyette : David contre Goliath

Alexandre Goyette, ses deux Masques en guise de couronne, poursuit l’aventure de King Dave à la Salle Maurice-O’Bready.

Ni plus ni moins qu’un rêve, voilà ce qu’Alexandre Goyette a vécu lors de la dernière Soirée des Masques. À 26 ans, à peine trois ans après sa sortie du Cégep de Saint-Hyacinthe, le comédien se voyait décerner deux des distinctions les plus convoitées de la cérémonie: Texte original et Interprétation masculine. "C’est un beau message pour toutes les petites compagnies de théâtre qui bûchent et qui n’ont pas d’argent", estime Goyette. Pour ajouter au choc, le jeune homme recevait son premier trophée des mains de Robert Lepage, le créateur qui lui a donné sa première grande émotion théâtrale, il y a des années, avec un solo intitulé Les Aiguilles et l’Opium. "J’étais ému. Je respirais comme un fou pour ne pas pleurer, parce que si je m’étais mis à pleurer, je n’aurais même plus été capable de parler. Je n’arrive pas encore à expliquer comment je me sentais aux Masques, c’est comme trop grand. C’est vraiment une des plus belles journées de ma vie."

C’est dans la Salle intime du Théâtre Prospero, en février 2005, que tout a commencé. Devant une poignée de spectateurs, Alexandre Goyette défendait, seul en scène, son premier texte de théâtre. Avec Les Idées Flottantes Théâtre (L.I.F :T), la compagnie qu’il a fondée avec Jean-Pascal Fournier et Maia Loïnaz, l’acteur poussait enfin Dave dans la lumière des projecteurs. Qu’est-ce qui décide quelqu’un qui n’a jamais écrit, et qui de surcroît n’a aucune prétention d’auteur, à se lancer? "Je pense que je suis tout près d’être un imposteur, au sens où je suis un acteur qui s’est écrit un texte. Si j’en écris un deuxième, peut-être que je pourrai dire que je suis quelque chose qui ressemble à un auteur." Le comédien est le premier à reconnaître que sans l’aide du metteur en scène Christian Fortin, la mise au monde du personnage ne se serait pas faite avec autant d’impact. "Christian m’a fait découvrir des aspects de mon propre texte. Sans cette rencontre de nos deux univers, si j’avais par exemple fait appel à quelqu’un qui me ressemble, je ne pense pas qu’on serait arrivé à un résultat aussi fort."

LE ROI DAVID

Dave, c’est David Morin, un voyou au grand coeur, à la fois prédateur et victime. Sous nos yeux, la vie du jeune homme se détraque. Son récit, haletant, truffé de rebondissements, nous happe. Avec des images fortes et des formules-chocs, le roi David nous engouffre dans une aventure aussi drôle que cruelle, un périple extrêmement lucide dans les quartiers défavorisés de Montréal et Laval. Parmi les moyens qu’il utilise pour captiver son auditoire, la langue, un amalgame particulièrement flamboyant de joual et de slang, joue un rôle primordial. Avec ses mots français et anglais, ses contractions, ses anglicismes, ses expressions colorées et ses accents de toutes sortes, la partition présente une oralité incomparable, une musique à la férocité on ne peut plus urbaine. Plus remarquable encore est la fluidité du discours, le rythme affolant qu’il impose à l’acteur. "Je parlais beaucoup en écrivant. Il fallait que je dise le texte, que je m’entende le dire pour trouver la rythmique. Tant que je n’étais pas satisfait d’une scène, un paragraphe ou une phrase, je n’avançais pas. Je ne voulais surtout pas avoir l’air d’inventer un langage de jeune."

Peu à peu, apercevant l’entièreté du personnage, on s’explique comment il est devenu ce qu’il est devenu: un être menaçant parce que menacé, un caïd par la force des choses. Dave a beau avoir fréquenté une école privée, cela ne l’a pas empêché d’être plusieurs fois victime de taxage. Dans une société où l’on instille la peur dès le plus jeune âge, peut-on se surprendre de voir un jour la frayeur se muer en rage? Dave est un éternel adolescent avide d’argent, d’alcool, de drogue et de femmes. Bien sûr, la société a pavé sous ses pieds la voie de la délinquance, mais il s’y est jeté à corps perdu. Son parcours: une véritable descente aux enfers. En chemin, on songe à Howie le Rookie de Mark O’Rowe, à l’univers de Tarantino ou encore à Trainspotting. En même temps, on a le sentiment d’avoir affaire à quelque chose d’unique, une oeuvre personnelle et singulière, voire autobiographique. "J’ai grandi à Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies. Quand tu fais 1 h 20 d’autobus et de métro pour te rendre à l’école et autant pour revenir, il se passe tout plein de trucs autour de toi. Tout ce dont je parle dans la pièce existe. Personne ne peut me dire que je suis allé trop loin." Si Alexandre a quelques points communs avec Dave, l’auteur a heureusement trouvé un exutoire que son personnage n’a pas découvert: le théâtre. "Un jour, j’ai frappé un mur et j’ai changé ma conception de la vie."

En plus de la tournée qui devrait occuper Alexandre Goyette pendant deux bonnes années, le jeune homme a récemment accepté que l’on porte son monologue au grand écran. On ne connaît pas encore le nom du réalisateur, mais on sait que le long-métrage sera produit par Point de mire, la maison à qui l’on doit les téléséries Grande Ourse et La Promesse. Comme quoi l’aventure ne fait que commencer.

Complet le 7 novembre
En supplémentaire le 27 novembre à 20 h
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