Claude Lemieux : L’avaleur de livres
Claude Lemieux campe le célèbre et coloré Hanta de Hrabal dans l’adaptation que signe Téo Spychalski d’Une trop bruyante solitude. Rencontre avec l’acteur.
Fasciné par les suicidés de l’histoire, par Platon, Socrate ou Rimbaud, Hanta, personnage aussi grinçant que touchant de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal (1914-1997), offre des monologues qui coulent comme de longs poèmes et qui entraînent parfois avec eux les désespoirs et les eaux usés des égouts et des dalots, ou d’autres marges dans lesquelles on confine parfois la culture… et les gens. "C’est un univers magico-poétique, et sans arrêt paradoxal, nous dit Claude Lemieux. Hanta détruit la littérature d’une manière très concrète, car il détruit les livres et en même temps, il est la mémoire du monde, car il lit ces livres et s’en souvient. Il les lit avec tout son corps, par la peau, il les respire; tout son être y plonge. Il est destructeur, mais aussi porteur de littérature et d’oeuvres d’art."
Car en avalant les livres, Hanta connaît tout autant la peinture ou l’architecture que les grandes idées politiques et philosophiques modernes. "Il a un contact avec la littérature qui n’est pas celui d’un intellectuel, mais celui d’un ouvrier qui aurait mangé et digéré la culture, un ouvrier qui serait donc constitué de cette culture, qui serait fait de littérature." Le roman est inspiré d’une petite partie de la vie de Hrabal où il a travaillé comme presseur de papier et rencontré le véritable Hanta, qui oeuvrait dans le domaine depuis longtemps. Au milieu des rats et du vieux papier, la pièce nous invite à suivre Hanta dans sa cave, mais aussi dans les profondeurs de sa pensée qui se sculpte au fil des lectures. "Hrabal écrivait le premier jet d’un souffle, pour ensuite travailler par collages. Il change et joue avec les mots de sorte qu’ils appellent à une autre respiration, une autre énergie que celle d’un langage plus courant ou ordinaire. C’est donc un texte qui fut très difficile à apprendre."
Lemieux ne peut cacher qu’il s’agit d’un gros travail, qui repose, à ce stade, essentiellement sur son jeu: "C’est un défi magnifique, et ça fait plusieurs années que Téo pense à ce roman en terme d’adaptation. Ça a presque été construit comme une partition musicale. Si on n’a pas tout fait dans le détail, plusieurs blocs sont élaborés de manière musicale, avec les mouvements, les gestes et des rythmes très précis pour différents lieux et scènes." Le texte baigne constamment dans une espèce d’ironie tirée également de l’ivresse du personnage, car Hanta est un sérieux buveur. De cette ivresse naissent d’autres personnages: Jésus, Lao-Tseu, etc.
On verra par quelle convention et comment le comédien et le metteur en scène parviendront, en la seule personne de Claude Lemieux, à insuffler les voix et présences de plusieurs personnages qui participent aux mêmes rencontres. Malgré les convocations éthyliques et les différents états du protagoniste, malgré les multiples niveaux de jeux et les tresses des fils narratifs où se chevauchent le présent, le passé et l’imaginaire, le spectateur n’est jamais oublié: "Théo a un souci maniaque de clarté", précise Lemieux.
Durant cette brève rencontre, Lemieux n’a pas parlé de ses lectures, qui, à l’instar de son personnage, semblent pourtant nombreuses, et à peine de son parcours, même si sa feuille de route est impressionnante. Il dirige plutôt la conversation sur les questions fondamentales et bouleversantes de l’oeuvre que sont le sort de la culture et la position de l’humain, de l’artiste, face au présent, à l’art, à la vie: "J’espère parvenir à rendre justice à ce si beau texte, dit-il humblement, et je trouve qu’on me donne une chance inouïe en me confiant ce rôle exigeant."
Du 7 novembre au 2 décembre
Au Théâtre Prospero
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