Evelyne de la Chenelière : La part de l’autre en soi
Evelyne de la Chenelière voit sa plus récente pièce, L’Éblouissement du chevreuil, créée par Jean-Guy Legault et l’équipe du Nouveau Théâtre Urbain.
Tout a commencé entre les murs du Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Jean-Guy Legault y dirigeait trois comédiens de la même promotion, Justin Laramée, Delphine Bienvenu et Marie-Laurence Moreau, dans un spectacle de finissants. Pour l’occasion, le metteur en scène et pédagogue avait eu la bonne idée de demander à six auteurs d’écrire une courte pièce de 20 minutes. Evelyne de la Chenelière faisait partie de ces auteurs: "Quelques mois plus tard, les trois acteurs (Sébastien Huberdeau s’est ensuite joint au groupe) m’ont demandé si j’avais envie de leur écrire un spectacle à partir de ces 20 minutes. J’ai eu envie de le faire. Jean-Guy a aussi accepté l’occasion d’approfondir quelque chose que ces acteurs avaient envie d’explorer avec nous."
L’auteure de Désordre public et Bashir Lazhar se souvient très bien des raisons qui l’ont poussée à se lancer dans l’écriture de L’Éblouissement du chevreuil: "Je crois que ce qui a déclenché l’écriture de cette pièce, c’est la notion d’insatisfaction. Je me suis mise à nous voir, tous, comme lourds, mais d’une lourdeur chargée de vide. L’idée de vivre en transportant son propre vide comme un fardeau, comme une charge, évoque des images très fortes chez moi. J’ai fait l’exercice de concevoir l’être humain comme portant un trou, un vide, comme devenant l’appétit en soi." C’est à ce stade que la question féminine s’est imposée à la créatrice. "L’image de la femme m’est alors apparue, physique, qui porte littéralement un trou, son sexe, qu’il appartient à l’homme de remplir, de combler. Tout ceci m’a fait réfléchir à la femme, à ce que la femme attend que l’homme comble en elle, au féminisme, à moi-même comme artiste femme."
L’HISTOIRE DE JOE
Dans notre histoire, Joe, le personnage principal, fait semblant d’être un journaliste, d’être une fille et d’avoir huit ans, tout ça pour procéder à une enquête sur la naissance de la folie, pour se rapprocher de sa mère et aussi parce qu’à huit ans, les gens acceptent beaucoup mieux nos amis imaginaires. Si Joe n’est pas fou – il fait tout ça par choix -, il est étouffé par son incompréhension du monde, réduit à s’inventer une réalité parallèle pour tenter de s’y réfugier. Sous nos yeux, il ira à la rencontre de différents personnages, des créatures, réelles ou non, qui le confronteront à son refus d’entrer dans la vie. Nous avons demandé à l’auteure à quoi rimaient tous ces travestissements: "Je me souviens très clairement d’avoir un jour souhaité être un homme qui écrit, plutôt qu’une femme. Je ne savais pas précisément pourquoi, mais je me suis rendu compte que je m’étais inconsciemment interdit d’aborder, comme artiste, certains thèmes, par peur d’appartenir à un genre de mouvement d’écriture féminine, par crainte que ma parole individuelle soit d’abord perçue comme une parole de femme. Bref, tout ça m’a donné envie de faire un exercice de perception, j’ai alors décidé d’écrire sur les femmes en tentant d’emprunter le regard d’un homme. Et j’ai créé un personnage qui, lui, se crée un alter ego féminin pour voir le monde avec un autre regard." Libérée de toute pudeur, l’écrivaine assume pleinement l’étiquette de théâtre féministe: "Cette pièce est féministe pour moi parce qu’elle repose les questions de l’état féminin, du rapport entre l’homme et la femme, de l’image de la femme que cultive la société, et aussi parce qu’il s’agit d’un hommage à la beauté, à la complexité, au désir et à la puissance de la femme."
Du 7 au 25 novembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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