José Navas : Je danse, donc je suis
José Navas épure encore sa danse pour nous offrir le plaisir simple de partager une méditation en mouvement. Une pièce qui révèle les Anatomies de cinq danseurs magnifiques.
Après la fougueuse et théâtrale Adela, mi amor, José Navas nous est arrivé l’an dernier avec la grande sobriété d’une étude sur la calligraphie du mouvement dans l’espace. Les interprètes n’avaient alors pas d’autre message à livrer que celui de la beauté et de la puissance du geste déployé dans l’intensité de leur totale présence. Intitulée Portable Dances, cette pièce confirmait le virage amorcé avec le duo Le Ciel, brûlant des heures, créé pour Montréal Danse: le chorégraphe d’origine vénézuélienne retournait aux sources du mouvement, optant résolument pour le formalisme et l’abstraction.
"Une des choses que j’aime et qui me fascine dans la danse, c’est l’humanité du danseur et de la discipline elle-même. C’est très primitif, commente le directeur artistique de la Compagnie Flak. Dans ma recherche actuelle, j’essaye de retourner à la façon la plus simple, la plus limpide et la plus pure de créer du mouvement pour voir si à partir de ça, on est capable de parler de nous aujourd’hui. Alors Anatomies reste une pièce contemporaine, mais au niveau des formes, c’est assez primitif, car il n’y a que l’espace et les corps."
Les corps, ce sont ceux d’interprètes de talent, à commencer par José Navas, qui danse dans cette pièce comme dans la précédente. À ses côtés, on retrouve la jeune et gracile Mira Peck, la hiératique Jamie Wright, de retour d’un congé de maternité, l’intrigante Ami Shulman et l’impressionnant David Rancourt. Pour souligner le caractère primitif de leur travail, José Navas a choisi de présenter des corps presque nus. "Je voulais voir ce que ça donnait de danser nu et je me suis rendu compte que la peau et les muscles portent quelque chose de dramatique et de profondément humain en même temps, explique-t-il. Ça nous invite à comprendre qu’il n’y a pas d’histoire derrière la danse mais juste une vérité à observer: celle de gens qui bougent avec leur âme, leur présence, etc. Et j’ai décidé de ne pas montrer les parties génitales parce que mon but n’est pas de choquer ni de commenter quoi que ce soit mais de donner au public l’opportunité d’observer les corps en mouvement."
Difficile de ne pas faire le lien avec la démarche de Daniel Léveillé, dont on a pu revoir tout récemment La Pudeur des icebergs. Bien que les univers des deux chorégraphes soient très différents, leurs points communs sont nombreux: quête d’un mouvement authentique, apologie du corps dans ses fonctions primaires, suprématie de la danse au-delà de toute volonté de séduire, exploration en studio sans intention de départ… Et surtout, difficulté technique d’une gestuelle exigeant une concentration telle que le danseur se trouve plongé dans une sorte de transe qui résonne d’un puissant écho dans le public.
"Un des aspects de mon travail que j’essaye de pousser le plus loin possible aujourd’hui, c’est la méditation en mouvement, confie José Navas. Le fait de maîtriser l’état dans lequel on exécute une danse, d’atteindre ce point de concentration où la magie commence… Je sais en tant qu’interprète que si j’arrive à méditer en mouvement sur scène, les gens reçoivent beaucoup. Ils vivent une expérience qu’ils ont du mal à définir mais qu’ils qualifient de rayonnante. J’ai vécu ça en tant que soliste et j’essaye maintenant de le transmettre à un groupe."
Dans Portable Dances, le mouvement était ainsi devenu mantra, donnant un goût de sacré à l’éblouissante performance des danseurs. La critique avait été dithyrambique, mais le pouvoir hypnotique de la pièce s’accompagnait d’une forme de froideur qui s’est dissipée dans Anatomies. "Je suis parti du point final de Portable Dances, révèle José Navas. Cette fois, j’ai beaucoup utilisé la présence et l’input des danseurs pour créer les mouvements et la structure. Ça donne quelque chose de beaucoup plus organique. En fait, je commence par écrire une phrase et je construis autour un duo, un trio, etc. Une fois que c’est fait, j’élimine la phrase première. Il n’en reste que la carapace autour de laquelle on construit une seconde carapace avec les danseurs et c’est ce que je garde."
Chaque fois qu’elle danse à Montréal, la Compagnie Flak fait salle comble et vous feriez bien de réserver rapidement votre siège si vous voulez être sûr de vivre Anatomies en primeur. Mais le succès d’une compagnie n’en garantit hélas pas la pérennité, et José Navas souligne la gravité de la politique culturelle du gouvernement Harper et des coupures budgétaires qui en découlent. "Ça peut déboucher sur la mort de plusieurs compagnies, affirme le chorégraphe. Les compagnies intermédiaires comme la nôtre sont particulièrement menacées: il en faudrait peu pour qu’on disparaisse." Qu’on se le dise.
Du 8 au 11 novembre
À l’Agora de la danse
Voir calendrier Danse
À voir si vous aimez
La méditation sous toutes ses formes
L’artiste visuelle Kiki Smith
Les cinéastes Luis Buñuel et Federico Fellini