Le Capitaine Fracasse : De cape et d’épée
Le Capitaine Fracasse, c’est la fructueuse rencontre entre les intrigues amoureuses, plusieurs combats énergiques et la belle littérature. Un mélange qui pourrait bien permettre aux Têtes heureuses de fracasser des records d’assistance.
En avril prochain, la compagnie de théâtre Les Têtes heureuses célébrera ses 25 ans d’existence. C’est avec beaucoup de sérénité que le directeur artistique et metteur en scène Rodrigue Villeneuve souligne l’événement: "C’est en pensant à cet anniversaire – 25 ans, tout de même, ce n’est pas rien pour une compagnie de théâtre – que notre choix s’est arrêté sur une adaptation du Capitaine Fracasse. Bien sûr, pour chaque spectacle qu’on monte, on a l’impression que c’est l’aventure la plus dangereuse qu’il nous ait été donné de vivre, mais dans ce cas-ci, il me semble que jamais ça n’a été aussi intense."
En effet, Rodrigue Villeneuve a lui-même fait l’adaptation du roman de Théophile Gautier, un volume de plusieurs centaines de pages. Pour lui, la part la plus ardue du travail aura certainement été de faire les choix nécessaires pour raconter l’histoire du capitaine Fracasse dans les limites temporelles que lui impose la représentation théâtrale. "Rodrigue est un amoureux des textes depuis toujours", déclarait Hélène Bergeron, directrice de production pour Les Têtes heureuses, en conférence de presse. "Pour Rodrigue, ça a été ça les choix les plus déchirants." Mais alors, pourquoi avoir choisi d’adapter une oeuvre d’une telle envergure?
"Le roman parle du théâtre comme il y a très peu de romans qui en parlent, explique-t-il. Il arrive que le théâtre parle de lui-même, mais ce n’est jamais avec la liberté et avec la profondeur d’un roman." Les adaptations déjà existantes ne convenaient pas au directeur artistique, qui chérissait le désir de montrer le point de vue particulier que le roman porte sur le théâtre. "Il me semblait que toutes les adaptations que je lisais ne disaient pas ce que je voyais d’intéressant dans Le Capitaine Fracasse, et que si les Têtes heureuses ne faisaient pas leur propre adaptation, ça ne valait pas vraiment la peine de le monter."
C’est par des intrications théâtrales, à l’image d’un jeu de poupées gigognes s’emboîtant les unes dans les autres, que la mise en scène permettra ce regard amusant sur l’univers du théâtre en mettant en scène des personnages comédiens jouant la commedia dell’arte. Cette mise en abyme du fait théâtral a demandé une formation particulière des comédiens, qui leur a été donnée par Jérôme Sauvion, un spécialiste de la commedia dell’arte venant de l’Europe.
Le Capitaine Fracasse, c’est donc l’histoire d’une troupe de comédiens ambulants qui, un soir, frappe à la porte d’un château délabré pour y trouver refuge. Ils y sont accueillis par un homme esseulé vivant en ces lieux décrépits, noble en déroute ayant vu sa richesse s’épuiser et sa cour se disperser. L’hôte, ravi de pouvoir se divertir un peu – et de manger tout son soûl à même les réserves de la troupe – offre un toit aux comédiens, qui le convaincront de se joindre à eux pour parcourir les routes de France, dans le but ultime de rencontrer le roi, et peut-être de gagner ses faveurs et de retrouver la fortune. Au cours des errances de la compagnie, des intrigues amoureuses – au coeur desquelles se trouve le personnage d’Isabelle, la jeune première incarnée par Isabelle Boivin – feront se croiser le fer des amoureux passionnés qui ne déclineront aucun duel pour les voeux de la belle. "Il faut dire que le personnage d’Isabelle tient vraiment à sa vertu, raconte la jeune comédienne. Elle ne veut se donner à personne. Elle est très chaste. Sans être une sainte – elle aime la vie -, elle ne fera pas comme d’autres comédiennes qui se donnent à tout le monde…" Éric Laprise, incarnant le riche et puissant duc de Valembreuse, se voit follement épris de la comédienne qui lui refuse son coeur. Il mettra toute son énergie au service de ce désir malsain qui l’anime, celui de la posséder. "Le duc a toujours eu tout ce qu’il voulait, explique Éric. Il veut Isabelle. Alors il faut qu’il l’ait."
PARLANT D’AMOUR
L’amour et le travail ne font pas toujours bon ménage. Cette fois, pourtant, c’était un atout de taille pour les deux comédiens qui partagent plus que leur passion pour le théâtre – ils sont aussi amoureux dans la vie. Foulant la même scène pour la première fois, ils ne semblent pas être gênés par la situation: "C’est même plus de liberté, soutient Éric. Parce qu’on se connaît bien. Des fois, dans des scènes au théâtre, il faut s’approcher des autres comédiens à un point où ça peut être délicat. Cette fois, il faut que je sois rude avec Isabelle – il faut que je la prenne dans mes bras, que j’essaie de l’embrasser malgré elle -, mais il n’y a pas de question à se poser. Il n’y a pas de petite gêne. Pas besoin d’essayer d’apprivoiser l’autre comédien pour que ça soit naturel… Ça se fait plus facilement." Isabelle renchérit: "On peut même s’aider plus. Comme je suis "de la relève", je n’ai pas l’expérience d’Éric. Il peut m’aider à la maison…"
DANS LE DÉCOR
Une attention particulière a été portée aux décors (Michel Gauthier), costumes (Jacynthe Dallaire) et accessoires (Joseph Kieffer). L’ingénieuse scénographie, en toute simplicité, devient une machine à raconter, se métamorphosant à mesure que le nécessitera la narration. À cela s’ajouteront des projections, conçues par Philippe Arsenault, un vidéaste s’étant fait remarquer au festival Regard sur le court métrage au Saguenay ainsi qu’au sein du mouvement de création sous contrainte 3REG. Les objets, véritables créations artistiques de Kieffer, permettront un jeu d’échelle offrant des possibilités particulières à la narration.
Beaucoup de comédiens participent à cette production – 11 en tout, souvent tous sur la scène, ce qui exige un travail chorégraphique important: Isabelle Boivin, Sébastien Dorval, Éric Laprise, Sophie Larouche, Patrice Leblanc, Marie-Ève Lemire, Sara Moisan, Christian Ouellet, Pascal Rioux, Patrick Simard et Marie Villeneuve. Une équipe regroupant des comédiens qui ont fait leurs preuves sur nos scènes théâtrales ainsi que des comédiens de la relève. Une belle occasion de se faire connaître offerte par Les Têtes heureuses à ceux qui, parmi eux, commencent dans la profession.
On nous promet un spectacle enlevant – la démonstration de combat présentée aux journalistes en a fait foi. "Ça pourrait intéresser même des gens qui ne vont pas au théâtre d’habitude, espère Isabelle. Ce n’est pas compliqué à comprendre, ni trop symbolique…" Une pièce qui pourrait même s’exporter en France, si on en croit les projections du directeur artistique. En effet, les collaborations de Didier Laval – formation en combat de scène nécessaire pour la performance très physique exigée des comédiens – et de Jérôme Sauvion – commedia dell’arte – pourraient être fructueuses sur ce point. Les liens noués avec eux et avec d’autres organismes de la région lyonnaise font espérer à la compagnie de théâtre que la pièce y sera jouée dans un avenir rapproché.
Du 9 au 26 novembre 2006
Au Petit Théâtre de l’UQAC