Une pièce espagnole : Double jeu
Scène

Une pièce espagnole : Double jeu

Une pièce espagnole, sous des dehors de fantaisie, jette sur le théâtre et la vie un regard sérieux, dans un spectacle à la fois épuré et complexe.

Créé en 2004, ce texte de Yasmina Reza ouvre les portes d’une fiction à plusieurs étages. Au lever du rideau, des comédiens apparaissent en pleine répétition. La pièce qu’ils préparent, campée en Espagne, raconte l’histoire de Pilar, femme dans la soixantaine, qui présente son nouvel amoureux, Fernan, à ses filles Aurelia et Nuria. Toutes deux sont comédiennes: l’une est vedette de cinéma, l’autre se consacre au théâtre, non sans souffrir de l’ombre que lui jette la célébrité de sa soeur. À l’exclusion de l’amour entre Pilar et Fernan, toutes les relations – familiales, de couple – apparaissent ici tendues, marquées par la froideur et l’incompréhension.

À côté de ces portraits, regards sur l’art théâtral, par le biais du théâtre dans le théâtre. Les différentes fictions et "réalités" s’entremêlent, dans un jeu tout à fait réjouissant. Nous sont livrées, de plus, des réflexions intimes sur cet art. À intervalles réguliers, plongée à l’intérieur de chaque comédien (personnage ou interprète de la pièce espagnole): on y entend ses doutes, ses désirs, en interaction avec les autres acteurs, s’adressant à l’auteur ou se confiant, par l’entremise d’entrevues imaginaires, au public.

Le décor (Christian Fontaine) est constitué de plusieurs éléments mobiles; sur le tout, les très beaux éclairages de Sonoyo Nishikawa, créant des atmosphères diverses. Par un jeu de transformations à vue, la scénographie souligne avec pertinence la théâtralité de l’ensemble. L’esthétique, plutôt froide et moderne, opère un surprenant contraste avec le contenu de la pièce espagnole, pleine d’intensité et de crises, et accentue le jeu de distanciation.

La mise en scène alerte et, en général, précise de Marie-Josée Bastien joue habilement avec les différents niveaux de la pièce, sensibles dans les mouvements et dans le jeu des acteurs énergiques, finement dirigés. Les comédiens (Nancy Bernier, Jean-Jacqui Boutet, Érika Gagnon, Paule Savard, Réjean Vallée) sont tous excellents; chez plusieurs, quelques accrocs dans le texte, toutefois, faisaient perdre certains passages, le soir de la Première.

Dans ce texte dense, plusieurs très beaux passages, dont certains, pleins de folie, amusent. Sous cette apparente légèreté, le fond est pourtant sombre: Une pièce espagnole réfléchit sur le théâtre, mais parle aussi de solitude, de communication impossible, d’échec. En résulte une impression de vulnérabilité de tous les personnages; elle culmine lors de la finale, magnifique, qui tisse entre toutes les strates de la fiction des liens lumineux.

Jusqu’au 25 novembre
Au Théâtre de la Bordée
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