Les combustibles : La proie des flammes
Scène

Les combustibles : La proie des flammes

Les combustibles, pièce d’Amélie Nothomb mise en scène par Patric Saucier, nous donne à voir des intellectuels tiraillés, en temps de crise, entre valeurs et besoins du corps.

C’est l’hiver, dans un pays en guerre. Aux violences, la guerre ajoute l’usure: celle de la faim, celle du froid. Chez un professeur de littérature solitaire et désabusé loge son assistant, Daniel, que vient rejoindre son amoureuse, Marina, tous deux jetés à la rue par les bombardements. En cette période où tout manque, plus de combustible; comment se chauffer? La bibliothèque garnie du professeur semble à Marina, la frileuse, la réponse toute trouvée. Peut-on sacrifier une grande oeuvre au bien-être physique? Entre nourriture intellectuelle et confort du corps, que privilégier? Jusqu’où peut-on aller pour satisfaire certains besoins? D’un personnage à l’autre, la réponse varie; s’en suivent discussions multiples, jeux de pouvoir et de manipulation, de plus en plus durs et complexes.

Si les personnages sont bien dessinés – le cynique, l’idéaliste, la terre-à-terre -, la pièce présente un intérêt inégal. Les scènes, joutes brillantes et souvent intéressantes, s’étirent par moments, et sont parfois très verbeuses; les enjeux apparaissent clairement, mais certaines motivations semblent difficiles à justifier, et pas toujours crédibles.

À mesure qu’on gruge la bibliothèque, la tension monte; avec les livres disparaît l’humanité des personnages au profit de leur animalité, malgré quelques sursauts. Présente dans le texte, cette transformation est également visible dans la mise en scène de Patric Saucier. Dans l’appartement, qui prend finalement des allures de cellule aux murs dénudés, le jeu des acteurs est de plus en plus rapide, nerveux; leurs gestes, de plus en plus désordonnés, miment parfois ceux des animaux. Cette descente et le jeu déterminé des comédiens nous mènent avec efficacité dans un univers qui ne fait que s’assombrir. Un bémol, toutefois: les personnages, dans la pièce, souffrent du froid; pourtant, dans leur attitude, ils n’en paraissent en général pas trop incommodés, ni affaiblis. Moteur de toute l’action, le froid devrait, semble-t-il, être ici beaucoup plus présent.

Visuellement, Les combustibles impressionne. La scénographie magnifique d’Élise Dubé ouvre les portes d’un monde glauque, hors de tout repère spatio-temporel, où s’empilent les livres dans un univers flétri, en décrépitude. À l’ensemble, Patric Saucier ajoute des scènes sans paroles, très belles et fortes, notamment lors de l’ouverture et de la finale, splendides.

Jusqu’au 2 décembre
Au Théâtre du Trident
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