Outrage au public : Aire ouverte
Scène

Outrage au public : Aire ouverte

Avec Outrage au public de l’Autrichien Peter Handke, le Groupe Audubon propose une réflexion sur l’inévitable passage du temps.

Lorsqu’on assiste à une pièce de théâtre, il se dessine plus souvent qu’autrement une histoire se déroulant dans un temps et un lieu fictifs. Dans Outrage au public, les comédiens d’adressent directement au public, en temps réel. Les deux entités prennent part, ensemble, à une même action. Peter Handke appelle cela ses "pièces parlées". Le quatrième mur tombe puisque, pour le scénariste du film Les Ailes du désir, tous les mortels sont réunis par une seule et même réalité: le passage du temps.

Malgré le spectre de la mort qui plane sur la pièce, la metteure en scène Caroline Binet assure que l’ensemble est teinté d’humour et de dérision. "En gros, c’est quatre comédiens qui se présentent sur scène en disant qu’il n’y aura pas de représentation. On pourrait presque dire que c’est juste cela!" raconte en rigolant celle qui a notamment monté Filles de guerres lasses de Dominick Parenteau-Leboeuf et Le Mouchoir, d’Evelyne de la Chenelière. "Inévitablement, tout ça est un peu tordu, parce qu’à partir du moment où quatre comédiens qui ont appris un texte se retrouvent sur scène, c’est du théâtre… En fait, c’est du théâtre qui ne veut pas en être!" lance Caroline Binet, avant d’ajouter: "La pièce questionne la position du spectateur. La première fois que je l’ai lue, j’ai ressenti une sensation d’angoisse parce que tu es obligé de te regarder, de te questionner en tant que spectateur et être humain."

DÉBLAYAGE EN PROFONDEUR

Le texte de Handke se lit comme un long monologue. Il ne contient ni scènes, ni personnages distincts. Il n’y a qu’une seule didascalie initiale: "Quatre acteurs". Voilà pourquoi, avant toute chose, les quatre gars du Groupe Audubon (Patrick Brosseau, Patrice Dubois, Alexandre Gagné et Claude Gagnon) ont fait appel à la dramaturge Anne-Marie Cousineau, avec qui ils ont séparé la pièce en scènes pour mieux en comprendre la structure dialectique. "Il fallait décortiquer le texte, et c’est ce qui nous a intéressés. On trouvait que Outrage au public s’inscrivait dans la lignée de nos spectacles", explique le comédien Claude Gagnon. Après la création de collages de textes comme Et Vian! dans la gueule… et Brèves de comptoir, on connaît l’amour du Groupe Audubon pour les mots. Puis, Caroline Binet s’est jointe au projet l’automne dernier. Après la lecture du texte, elle s’est attelée, au printemps, à la lourde tâche de séparer le texte en personnages. "Je ne voulais pas faire une distribution arbitraire. J’ai donc donné des propriétés à chacun des personnages en identifiant quatre grands thèmes: le temps, le lieu, le théâtre et le corps." Le texte de Handke reste intégral.

FAUSSE MISE EN SCÈNE!

Comment mettre en scène une pièce qui refuse d’en être une?! "On travaille avec quatre chaises qui prennent différentes positions sur scène. On a cherché à aller dans le sens de la déconstruction des codes habituels", affirme Caroline Binet. Si Handke ne donne aucune indication de jeu aux comédiens, il propose quelques instructions farfelues telles que: "Regarder le film des Beatles", "Écouter les traducteurs simultanés des Nations Unies" ou encore "Écouter les invectives du public lors d’un match de foot"! La metteure en scène a décidé de les utiliser, avouant que le spectacle contiendrait peut-être des projections… Pour diriger les comédiens, Binet a surtout cherché à "trouver une certaine vérité de la part de chacun", pour éviter de créer un ton "méprisant". Il faut dire que Handke n’y va pas avec le dos de la cuillère. Lors de sa création à Francfort, en 1966, la pièce avait fait scandale: les comédiens engueulaient littéralement le public, l’obligeant violemment à prendre conscience du temps qui passe. "Nous, ce n’est pas la provocation qui nous intéressait, mais plutôt l’introspection et l’idée de mordre dans la vie pendant que l’on souffle, respire et avale", conclut Claude Gagnon.

Du 21 novembre au 9 décembre
À l’Institut Goethe
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