Yvon Deschamps : L'humour, qu'ossa donne?
Scène

Yvon Deschamps : L’humour, qu’ossa donne?

Yvon Deschamps était de passage à Québec pour le lancement de son quatrième et dernier DVD-rétrospective, Les années 90-2000. Voir a eu la chance de dîner avec lui pour discuter de son monde et de sa carrière.

La responsable des communications nous avait prévenu: "Yvon est un peu fatigué de répondre toujours aux mêmes questions des journalistes. Mais il accepte tout de même de passer du temps avec vous." Elle avait raison. Deschamps semble agacé. On sent qu’il n’a pas tout à fait envie de se prêter une fois de plus au jeu des médias. Mais ce n’est rien de véritablement apparent. Juste une légère impression. Un petit quelque chose dans le regard qui dit: je le fais pour vos lecteurs, mais il me semble que je pourrais être mieux ailleurs. En quelques mots échangés, il a retrouvé son rire si caractéristique qui ponctue chaque point d’exclamation de cette entrevue. Un rire clair et sincère qui a le don d’être contagieux. Et, sans détour, avec la générosité qu’on lui imagine, il accepte de répondre aux questions du Voir.

C’est à cette époque que vous rencontrez Paul Buissonneau, Clémence Desrochers, Louise Forestier et Robert Charlebois?

"Méchant bon timing! J’ai connu Robert à La Roulotte alors qu’il était entre le secondaire et l’École nationale. Quelques années plus tard, Robert revenait de Californie avec ses nouvelles chansons et on a décidé de faire une revue un peu différente, l’Osstidcho!"

C’est à cette occasion que vous avez écrit vos premiers monologues comme Les unions, qu’ossa donne et Nigger Black.

"En fait, j’avais écrit des sketchs pour aller entre les chansons de la revue. Faute de temps, on n’a pas pu les répéter en équipe… ça fait que mes sketchs sont devenus des monologues! Maudite bonne affaire pour moi!"

Aviez-vous l’impression de devenir humoriste?

"Pas vraiment. Mes premiers monologues étaient plus théâtraux. Je savais que je faisais de l’humour, mais dans ma tête, je faisais du théâtre quand même. Mon premier personnage… C’est un personnage totalement démuni qui avait juste un bon boss et une job steady. Il était totalement passif. Il subissait la vie chaque jour. Mais je l’aimais et je le connaissais, ce personnage-là."

Vous étiez près de son univers?

"J’ai grandi dans Saint-Henri, près du marché Atwater. Quand j’étais petit, le canal Lachine était la région la plus industrialisée au Canada. On était entourés d’usines qui fonctionnaient au charbon. On voyait pas le soleil souvent! Il y avait des gros nuages de suie pratiquement en permanence au-dessus de notre secteur de la ville. Je me rappelle que quand ma mère faisait son lavage, si le temps était un peu lourd, le linge devenait tout noir. Il fallait qu’elle recommence!"

C’était une époque difficile?

"Mon père était dessinateur industriel, on a donc jamais manqué de rien. On était chanceux. Autour de nous, c’était la grande misère. Il y avait encore des logements sur la terre battue, sans plancher."

Considérez-vous que vous faisiez de l’humour engagé?

"On était très proches du monde et très proches de tout ce qui se passait. On était engagés socialement et politiquement. Il y avait une raison sociale de dire et de faire des choses. Il y avait une raison de monter sur scène. C’était des grandes années de contestation. On avait l’impression qu’on était… imprégnés d’une mission. Ce qui était très bon!"

On a parfois l’impression que l’humour s’est polarisé: on peut dire les pires trasheries comme dans Les Bougon ou faire des gags au sujet des habitudes de sa blonde. Mais entre ces deux niveaux d’humour, il y a très peu de choses. Pensez-vous que des monologues comme ceux de vos premières années seraient encore possibles aujourd’hui?

"Je pense que oui. Mais il faut qu’il y ait une certaine pertinence. Ça demande que les gens soient prêts à les entendre."

Justement, est-ce qu’on veut encore entendre des monologues comme ceux-là?

"À quelque part, les humoristes sont des messagers. On raconte ce qu’on voit, ce qu’on vit. Les gens ne veulent pas nécessairement entendre des monologues très politisés. Mais on n’est pas dans la pire période. Le véritable passage à vide aura été dans les années 80."

Ça vous inclut?

"Oui, absolument! À un moment donné, on s’est rendu compte que les gens ne voulaient plus entendre parler de rien. Le monde s’offusquait si tu disais "un aveugle" ou "un sourd". Il fallait faire des farces sans rien dire, sans choquer… Écoute, c’est une méchante job! Sacrifice, on a travaillé fort!"

Qu’est-ce qui explique ça?

"C’était normal jusqu’à un certain point. Les gens étaient tannés et déçus. Nous aussi, on avait envie de parler de rien. On voulait juste "entertainer"… S’amuser!"

Si les années 60-70 étaient celles de la mission, les années 80, celles de la déception, comment qualifieriez-vous notre époque?

"Je ne sais pas vraiment. Après 70 ans, t’es moins là que t’étais. Je ne sais pas comment les jeunes se sentent, comment ils voient ça."

Vous n’êtes pas reclus. J’imagine que vous avez encore des antennes?

"Il y a des jeunes qui ont de très bonnes antennes! Mais aujourd’hui, on dirait que c’est la précarité qui domine. Tout est éphémère, il n’y a rien qui semble vouloir durer."

Cynique?

"Non, c’est un état de choses. C’est normal d’être un peu mélangé. On a tout "pitché" par la fenêtre… il ne reste pas grand-chose de ce en quoi on a cru. C’était plus simple à l’époque. Dans le temps, on était sûrs de nous. Maintenant, on est sûrs de rien. On n’ose pas aller trop loin… tout à coup qu’on se tromperait! D’après moi, on est dans une ère de transition. On ne sait plus ce qui s’en vient. Est-ce qu’on va encore parler français dans 50 ans? Est-ce que le rouleau compresseur de la culture pop américaine va tout détruire sur son passage?"

Est-ce que vous écrivez encore? Avec ce que vous me dites, il me semble qu’il y aurait matière à le faire.

"Pas en ce moment. Mais à un moment donné, je vais m’y remettre."

Et ce serait quoi la mission d’un humoriste aujourd’hui?

"On ne peut pas avoir de mission aujourd’hui, sinon celle de divertir. Souvent, des gens me disent: "Un tel, il n’y a rien dans ce qu’il fait. Il fait juste faire rire… " Wôwôwôwô, là! Juste faire rire? On ne fait pas "juste faire rire". Si tu fais rire, t’as déjà fait quelque chose de très important. C’est quelque chose, le rire, c’est merveilleux! Des fois, ça change même le monde…"