Outrage au public : À nous de jouer!
Avec Outrage au public, on ne s’évade pas dans un monde fictif; on rencontre plutôt notre propre histoire. Et on rit jaune!
Dès qu’on entre dans la petite salle de représentation de l’Institut Goethe, on aperçoit – face à nous – l’image projetée d’une salle de spectacle qui se remplit peu à peu de spectateurs. L’effet miroir donne le ton. Nous nous asseyons, confrontés à nous-mêmes. Puis, quatre hommes entrent sur scène et nous avertissent que nous risquons de rester sur notre faim, puisqu’il n’y aura pas de représentation. Les comédiens ne joueront pas de rôles. Ce soir, nous, spectateurs, serons le sujet du spectacle.
Pour Peter Handke, un des plus importants auteurs de la littérature autrichienne contemporaine, l’effacement de ce quatrième mur est inévitable pour créer une "pièce parlée" qui se joue en temps réel. On a l’habitude de venir au théâtre en suivant un certain rituel: s’asseoir dans l’obscurité et attendre le spectacle. Handke brise les conventions théâtrales préétablies et renverse la vapeur pour nous rendre conscients de notre vie, de notre respiration, de "notre temps" qui s’écoule. Pour ce faire, les acteurs nous interpellent et jouent notamment de répétitions et de contradictions, qui nous permettent d’assimiler le sens et le non-sens, la pièce et l’anti-pièce. "Essayez de ne plus respirer" ou encore "Avalez", scandent-ils. Pour eux, la lumière, l’expression de leur visage ou les vêtements qu’ils portent n’ont pas de signification. Rien n’est prémédité. Puis, il y a un silence. Peut-être pour apporter une tension dramatique, se dit-on. Piège. Dans Outrage au public, le mutisme n’est pas une manifestation artistique. Il ne veut rien dire.
UN NON-SENS SENSÉ
En instaurant ce décloisonnement des espaces, tout se confond sans jamais vraiment se marier. Et Handke n’est pas dupe de ce phénomène. S’il déconstruit les codes habituels, il affirme également que tout a un sens au théâtre et que derrière le jeu se cache une réalité jouée. Voilà peut-être pourquoi on ne sent jamais une totale communion entre la foule et les acteurs. Même si les comédiens nous rejoignent souvent dans la salle, leur regard reste évasif. Leurs gestuelles et mimiques très théâtrales creusent le fossé entre eux et les spectateurs. Mais c’est justement cette contradiction apparente qui nous fait prendre conscience que pour être apprécié à sa juste valeur, l’art peut également être abordé sans idée préconçue.
CLIN D’OEIL
Lorsque Handke a écrit la pièce, en 1966, l’exercice constituait notamment une critique du théâtre bourgeois de l’époque. Quarante ans plus tard, l’objectif a changé. À l’aide de quelques chaises, de projections qui font écho aux instructions de Handke et d’un ton ludique, la metteure en scène Caroline Binet propose une pièce pleine de rythme, dotée d’une grande fraîcheur. Bien qu’on assiste à une pièce parlée, Binet a su créer des images fortes. Derrière les personnages qu’elle a forgés, on sent la répartition de quatre grands thèmes – le temps, le théâtre, le lieu et le corps -, ce qui apporte clarté au propos, sans jamais nuire à sa spontanéité.
Les quatre gars du Groupe Audubon offrent une performance savoureuse et un jeu choral impressionnant de minutie. Patrice Dubois se démarque; ses répliques tranchent, déstabilisent et giclent tels du miel ou du venin. On sent l’impact que les mots des comédiens ont sur nous, mais on détecte mal notre influence concrète sur leur jeu. Le public devient acteur sans que l’inverse se produise. En ce sens, ce n’est pas vraiment un outrage au public, mais davantage un clin d’oeil sympathique.
Jusqu’au 16 décembre
À l’Institut Goethe
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