En attendant Godot : Les jeux de l’espoir
Avec En attendant Godot de Beckett, le Théâtre de la Bordée de Québec a atteint un record d’assistance, en plus de rafler prix et nominations. Entretien avec Lorraine Côté et Jacques Leblanc.
Il y avait une trentaine d’années que cette pièce de répertoire n’avait pas été montée dans la Vieille Capitale. La dernière tentative avait été celle du Théâtre du Trident, qui s’est révélée un "flop", de rapporter la metteure en scène Lorraine Côté. "Peut-être que les gens n’étaient pas prêts à recevoir ça, mais je sais aussi que ça avait été monté de façon très noire, le décor était dur", commence celle qui se réjouit du succès de la pièce longtemps perçue comme "rébarbative", mais qui a enregistré à la Bordée des records d’assistance.
Pour le directeur artistique du Théâtre de la Bordée, Jacques Leblanc, qui prend ici les traits d’Estragon, ce succès aurait à voir avec "la démocratisation du spectacle par la mise en scène". "Lorraine est allée beaucoup chercher dans la vérité des personnages, dans l’ici et le maintenant. On n’a pas du tout travaillé l’intellectualisme de cet auteur ni de l’oeuvre. On est vraiment allés dans le coeur des relations humaines", tranche le comédien, qui vient de remporter pour ce rôle le prix Paul-Hébert du meilleur comédien au Gala des Prix d’excellence des arts et de la culture à Québec. "Plutôt que ce soit axé sur le désespoir, le drame, je l’ai axée sur l’espoir", explique Lorraine Côté quant à son approche. "Parce que quand on ne vit que dans le désespoir, tout ce qui nous reste à faire, c’est d’espérer."
HISTOIRE D’UNE AMITIE
Deux clochards, Vladimir et Estragon, cherchent tant bien que mal à s’occuper dans l’attente d’un certain Godot. Campé dans un non-lieu où le temps n’a pas de prise, le duo se querelle, se réconcilie, entre les discussions existentielles et les vieilles routines de vaudeville. Surviendront les étranges Pozzo et Lucky.
"À un certain moment, j’ai essayé de me détacher du spectacle. C’était difficile parce que ce sont des personnages extrêmement attachants. Ils viennent à faire partie de toi, comme un frère, une soeur, tu ne peux t’en débarrasser, ils te collent à la peau. Puis, à force de voir la pièce, j’ai constaté que c’est d’abord l’histoire d’une amitié; deux hommes qui sont ensemble, qui ont de la misère à se supporter, mais qui ont besoin l’un de l’autre. Au début, ils se tiennent par la main et à la fin, ils se tiennent embrassés. Leurs liens se sont encore plus soudés, note la metteure en scène."
Avant même que ne débutent les répétitions, Lorraine Côté envoyait ses comédiens incarnant les deux couples de la pièce – Vladimir (Jack Robitaille) et Estragon (Jacques Leblanc); Pozzo (Denise Gagnon) et Lucky (Hughes Frenette) – à un atelier de clown de deux semaines avec Marc Doré. "En attendant Godot, c’est vraiment du clown de théâtre, c’est toujours extrêmement simple avec les petits jeux de figure qui reviennent constamment. Parce que ça nous rassure. À preuve, un gag qu’on aime faire avec nos amis, on le fait sans arrêt. Le jeu avec les bébés de se cacher derrière une couverture, tu peux le faire une heure de temps, et le bébé va être toujours content. Alors, il fallait vraiment trouver cette espèce d’âme de bébé, cette naïveté, cette spontanéité", raconte-t-elle.
LIBERTES
"Lorraine est très consciencieuse et est extrêmement pointue dans ses demandes. Elle est très exigeante envers nous", relate Jacques Leblanc, qui n’a que d’éloges envers celle qui partageait les bancs du Conservatoire avec lui.
Celle-ci a par ailleurs pris nombre de libertés dans sa mise en scène. À commencer par le fait de donner le rôle de Pozzo à une femme, chose qui aurait été perçue comme un sacrilège du temps de Beckett. Elle a aussi innové relativement à la scénographie, moins dépouillée que l’aurait voulu Beckett, comme cet arbre qu’elle a voulu non pas rabougri mais bien grand, puissant, "comme le mât d’un chapiteau". Elle a aussi ajouté quelques numéros au spectacle: "J’ai voulu rendre hommage aux frères Marx, qui sont des génies dans leur genre et qui ont beaucoup inspiré Beckett."
Chose certaine, avec deux prix d’excellence des arts et de la culture de Québec (avec le Prix Jacques-Pelletier à Christian Fontaine pour ses décors) et ses nominations à la Soirée des Masques, Jacques Leblanc est on ne peut plus fier d’avoir ressorti cette pièce qu’il trainait depuis longtemps dans ses bagages. "J’avais mis Godot dans ma programmation hypothétique lors de mon entrevue comme directeur artistique de la Bordée… Un de mes frères plus âgés avait laissé derrière lui ce texte. Je m’en suis emparé et je l’ai toujours gardé en rêvant un jour faire partie de ce spectacle. Quand je suis devenu directeur ici, ça a été l’occasion, et je suis très content", conclut-il, le sourire dans la voix.
Du 12 au 16 décembre à 19h30
Au Théâtre du CNA
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