Coma Unplugged : J’aurais voulu être un artiste
Avec Coma Unplugged, le public est témoin captif des pérégrinations intérieures d’un homme qui "profite" du coma dans lequel il est plongé pour effectuer un retour sur sa vie.
Dans une chambre d’hôpital lugubre et exiguë, Daniel Martin se tient debout, aux côtés d’un corps meurtri qui repose dans un lit, l’âme entre deux mondes. Cette carcasse qu’il regarde avec curiosité, c’est la sienne. Comme si son esprit s’était matérialisé. Pourquoi est-il là? On ne le saura vraiment qu’à la toute fin de cette pièce écrite par Pierre-Michel Tremblay et qui marie habilement l’onirique, le dramatique et le ludique.
AU-DELÀ DU RÉEL
Daniel Martin (Steve Laplante) écrit des chroniques d’humeurs au Journal, participant ainsi "au grand bruit de fond médiatique", tel qu’il le dit cyniquement lui-même. Le cynisme, c’est sa façon de s’exprimer sans trop se révéler aux autres et à lui-même. Fin trentaine, fraîchement séparé de sa femme (Marie-Hélène Thibault) dont il est encore amoureux et papa d’une petite Béatrice de huit ans, Daniel use de son coma pour comprendre un peu plus son parcours existentiel. Ensuite, il décidera s’il revient ou non à la vie. Le hic, c’est que même s’il travaille, gagne bien sa vie et jouit d’une certaine notoriété – performance, réussite financière et célébrité représentent pour lui les trois gages de succès de notre société occidentale -, il estime avoir gâché sa vie. Pourquoi? Parce qu’il n’a pas concrétisé son rêve: celui d’être stand-up comique. Ce fantasme inespéré, il le réalise enfin dans son coma, qui devient une sorte de prolongement de ses désirs.
CABARET PSYCHIQUE
C’est donc dans une ambiance de cabaret que Daniel revit quelques moments de son passé ou qu’il fantasme sur certaines situations dont il regrette le dénouement. Ses réflexions prennent la forme de monologues adressés au public ou encore de dialogues avec son ex Marjorie, qui lui reproche principalement d’avoir cédé sa force et sa sensibilité à un sarcasme destructeur. Ces passages sont les plus poignants de la pièce. On dévore chaque mot de l’auteur qui, lentement, nous éclairent sur toute l’incompréhension qui a mené à la perte du couple. Difficile d’ignorer la présence de Bertrand (Benoît Gouin livre ici une performance qui nous rappelle le coloré personnage de Mike Gauvin dans Québec-Montréal), un vieil ami d’enfance macho qui viendra s’immiscer dans le coma de Daniel pour notamment lui parler de la théorie de l’homme Froot Loops. Un retour sur les planches franchement réussi pour Louise Laparé, savoureuse en mère surprotectrice et en obsédée des petits plats. Petite ombre au tableau: la raison d’être et la profondeur du personnage de Ishouad (Philippe Racine) demeurent floues, malgré le fait que ce dernier symbolise le guerrier intérieur du héros déchu.
MAÎTRE D’OEUVRE
Steve Laplante mène la barque avec brio, tantôt devant un micro entouré d’une auréole de lumière façon stand-up, tantôt en pleine confrontation avec ses visiteurs imaginaires. Le comédien alterne avec aisance entre différents niveaux de jeu, passant du drame au comique en criant ciseau, donnant force et cohérence à ce récit non linéaire. Il nous ouvre grandes les portes de son intimité. Le concept "cabaret" imaginé par le metteur en scène Denis Bernard sied parfaitement à la parole de Pierre-Michel Tremblay. Avec ses rires en cannes et son esprit ludique, ce procédé original et rafraîchissant ajoute – par opposition – au drame de Daniel. Sur scène également: des musiciens de talent (Félix Beaulieu-Duchesneau et Ludovic Bonnier), un son enivrant de guitare électrique, un batteur qui fait aller ses baguettes avec dextérité et l’expression d’une voix rauque qui donne chaleur et convivialité à un cabaret digne de ce nom!
À voir si vous aimez
Le film All That Jazz de Bob Fosse
Le livre Le Principe du geyser de Stéphane Bourguignon