Madame : Cette chair amie
Dario Larouche présente sa plus récente création théâtrale, Madame. Ce sont Marie Villeneuve, Alexandre Larouche et Pierre Tremblay qui donnent de la chair à ses mots. Pour amateur de théâtre averti.
Madame est au centre du monde et surpasse tout. Imbue et assoiffée de contrôle depuis sa naissance littéraire, elle est un personnage, consciente des limites de son univers, mais aussi des incommensurables pouvoirs que lui confère l’adhésion tacite de l’auditoire à la grande équation théâtrale. Elle implique même explicitement les spectateurs, qui doivent créer eux-mêmes le décor, à partir du matériau même de leur imaginaire. Cet appel à l’imagination rendra encore plus frappantes les images ensuite proposées par le texte, les symboles se créant au fur et à mesure que se développe la trame narrative.
La scène est tableau noir, au sens propre puisqu’on y écrit à la craie des sentences tragiquement prémonitoires, et au sens figuré, donnant à voir de funestes manifestations. La femme absorbe littéralement ceux qui partagent sa vie, cumulant des actes de cannibalisme assumés, l’intromission de l’autre semblant contribuer à sa puissance pathétique. Les corps tombent autour d’elle, gonflés de furoncles purulents, mangés par la peste ou la vermine, ne laissant derrière eux que leur goût amer et leur souvenir. Son besoin de contrôle la poussera même à s’arracher à mains nues le mal des entrailles, effrayée à l’idée qu’il puisse prendre cette expansion morbide qui le rendrait inaliénable, lié par le sang.
La pièce de Dario Larouche est d’abord et avant tout une réflexion sur le théâtre lui-même, certains passages cherchant justement à penser un théâtre qui s’effrite et disparaît. Le dramaturge et metteur en scène s’est intéressé à la place des différentes entités théâtrales – à la scène, à la salle et aux personnages – ainsi qu’aux différents rapports possibles entre elles. La femme qui se présente sur scène porte un texte qui la fait naître et mourir alors que le spectateur est témoin de son irrémédiable fragilité. La désagrégation des valeurs dans notre société, cette peste contemporaine, prend corps dans les personnages créés par le dramaturge; leur chair se délite, leurs membres se détachent. On reconnaîtra aussi, dans la quête du pouvoir de cette femme indépendante et forte, quelques adages féministes. "Je suis votre épouse, non votre usine!" vocifère-t-elle en haranguant son époux qui avait osé verser en elle sa semence dans le but avoué de lui faire un enfant à son insu. Un texte fort, dont on appréciera la portée multiple longtemps après avoir assisté à la pièce.
Jusqu’au 20 janvier
Au Studio-théâtre de l’UQAC
Voir calendrier Théâtre