Martin Genest : Déraison et sentiments
Scène

Martin Genest : Déraison et sentiments

Martin Genest a choisi, pour sa mise en scène de la Phèdre de Racine, un cadre rigide à l’image du texte. En espérant que tous deux s’effaceront pour laisser place à l’émotion…

Après le réalisme de Festen et les marionnettes de Jacques et son maître, le tragique de Phèdre se présentait d’abord comme un nouvel univers à explorer pour Martin Genest. "J’y voyais un défi parce que c’est une forme théâtrale que je ne connaissais pas beaucoup. Mais je ne savais pas si c’était une pièce que je pouvais m’approprier, si j’avais quelque chose à dire avec ça. Et après plusieurs lectures, tout à coup, ça m’est apparu, relate-t-il. Derrière ce texte en alexandrins, ce langage rempli de conventions et de poésie, il y a une histoire très touchante et pas loin de nous: celle d’un amour impossible. Mais je me butais à ce que ça dit. D’abord, on y parle d’une meilleure vertu pour éduquer les gens; ce serait ridicule de défendre ça aujourd’hui. Puis, Racine y fait le procès de l’amour: ne tombez pas amoureux, vous allez vous foutre dans la merde; je n’avais pas le goût de dire ça non plus. Donc, moi, je parle plus d’irrationalité, du fait que l’amour, c’est merveilleux, mais que c’est plus fort que nous. On a beau essayer de se raisonner, c’est impossible." Pour ce faire, il a eu l’idée d’inclure au spectacle le personnage de Vénus, auteure du mauvais sort dont Phèdre est victime, qui sera incarné par une harpiste. C’est donc cette présence musico-métaphorique qui y laissera planer le spectre de la possession amoureuse, monstre intangible n’ayant rien à envier aux plus redoutables bêtes mythiques.

Afin de rapprocher l’histoire du public, le metteur en scène a par ailleurs choisi de la situer à une époque et dans un lieu indéterminés, au sein d’un décor "très architectural, carré, cartésien", histoire de "mettre en évidence le jeu de l’acteur et ce très beau texte". "C’est comme un building qu’on aurait déshabillé; il ne reste que les beams de métal, illustre-t-il. Je voulais que le corps, la passion soient en contraste avec cet environnement très froid. Aussi, ça m’a permis d’amener quelque chose de syncopé, c’est-à-dire qu’à un moment donné, une scène se passe en bas, on éteint, l’autre se passe en haut… Je peux me promener dans ces cubes-là." Une structure qui n’est pas non plus sans rappeler celle de la tragédie, monument scénographique érigé en écho au monument dramaturgique et rappelant qu’à l’instar de l’architecture, celui-ci s’affirme comme un témoin privilégié du passé. "On comprend qu’à travers toutes ces années, cet édifice s’est affaissé; il ne reste que de la poussière de pierre au sol, observe-t-il. De même, cette histoire a traversé le temps, cette structure est toujours là. Les humains vivent des passions et meurent, mais l’histoire se perpétue." Cela dit, il s’est bien gardé de ne miser que sur la beauté de la langue. "Ce que je voulais, c’était de faire ressortir l’humanité derrière ça, que ça reste une histoire qui nous touche. Qu’on suive les personnages, qu’on ait de l’empathie pour eux et qu’on ne tombe pas dans la froideur d’un texte déclamé, explique-t-il. Pour moi, le piège était de faire quelque chose de muséal et d’esthétique." Ainsi entend-il nous offrir un classique, non pas statufié, mais bien vivant.

Du 23 janvier au 17 février
Au Théâtre de la Bordée
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