Danielle Proulx : Instinct maternel
Danielle Proulx fait un retour à la scène dans Vincent River, un tête-à-tête fracassant où elle incarne une mère qui dissèque le passé d’un fils assassiné. Rencontre.
Après un succès d’estime de la critique et du public l’automne dernier au Théâtre de Quat’Sous (Montréal), voilà que la coproduction du Théâtre de la Vieille 17 Vincent River investit Ottawa. C’est Robert Bellefeuille (Jouliks, La dame aux camélias) qui assume avec soin la mise en scène de cette pièce que son auteur, Philip Ridley, a tirée d’un fait divers londonien, dans une traduction de Maryse Warda. Pour endosser les rôles complexes et énigmatiques de ce duel intense, Robert a réuni les acteurs Danielle Proulx et Renaud Lacelle-Bourdon dans un huis clos acéré.
D’abord séduite par les personnages "fabuleux" et la pièce qu’elle a qualifiée de "page turner" à la lecture, Danielle Proulx avoue avoir quand même tergiversé avant d’accepter de jouer Anita, une mère dont le fils a été tué: "Le fait de me retrouver dans ces zones d’ombre tous les jours, c’est difficile. Mais une fois le travail de débroussaillage fait, on patauge moins longtemps dans une journée dans cette soupe glauque, atteste celle qui incarnait aussi une maman dévouée dans C.R.A.Z.Y. et Histoire de famille. Puis ça vient comme conjurer le sort. C’est qu’on ne veut tellement pas vivre ça dans sa propre vie que c’est riche d’aller s’y plonger en sachant que ce n’est pas vrai! (rires)"
TOUTE LA VERITE
Vincent River, un homme de 35 ans, a été retrouvé mort dans un repaire d’homosexuels. Sa mère, peinée et se sentant coupable – ne connaissant pas les penchants sexuels de son fils -, devra fuir sa maison, où elle est victime des préjugés de son entourage. Un soir, elle laissera entrer Davey, un adolescent blessé ("du dehors comme du dedans") qui dit avoir été celui qui a retrouvé son fils.
"Elle qui avait dû déménager en catastrophe a été très surprise de voir que celui qui la suivait comme un chien depuis des mois l’avait repérée!" relate la comédienne. "Elle finit par le laisser entrer et la pièce ouvre là-dessus. Il y a donc un attrait entre deux planètes qui n’ont rien à voir ensemble, mais qui sont obligées d’échanger", poursuit Danielle Proulx, qui encense son partenaire de scène, Renaud Lacelle-Bourdon, en qui elle a trouvé un parfait complice.
Dès lors, les deux individus feront le pacte de se dire la vérité, toute la vérité, dans leur quête d’en apprendre davantage sur ce départ abrupt qui a marqué leur vie. S’ensuit un échange virulent où les blessures du passé, les peurs et les traumatismes referont surface, dans un affrontement déchirant.
"C’était important pour moi – et c’est la première chose que j’ai abordée avec Robert [Bellefeuille] -, que cette rencontre, même si elle allait faire mal, devait apporter quelque chose de lumineux dans le propos. Ça ne m’intéressait pas de faire du Allo Police, de faire un portrait morbide… Non pas que la réalité ne le soit pas, mais je voulais travailler dans le sens d’une pacification", atteste la lumineuse actrice.
C’est donc au fil d’une conversation "négociée serré", d’échanges d’information et sous forme de huis clos que le couple dépareillé chemine vers cette quête de vérité. "Le huis clos permet de crever l’abcès du mensonge, du silence, du non-dit, de tout ce qu’elle n’a pas su ou n’a pas voulu savoir. Et tout cela remonte à plus loin que son fils, esquisse-t-elle. Bref, il permet aux deux personnages de passer de l’autre côté du mur de l’ignorance", résume-t-elle.
AU NOM DE LA MERE ET DU FILS
C’est avec beaucoup de sympathie et de compassion donc qu’elle a plongé à l’intérieur d’Anita et qu’elle l’a consolée, d’abord et avant tout: "J’essayais d’imaginer la complicité qu’elle pouvait avoir avec son fils, puis c’est une femme qui a énormément d’humour. Je me disais qu’elle devait avoir des failles dans sa relation avec son fils, qui vivait toujours chez elle. Ça devait être l’homme de sa vie. J’ai imaginé son sentiment de désarroi, de trahison devant cette homosexualité non avouée. C’est une tragédie quand l’être avec lequel tu as passé les plus belles années de ta vie reste un mystère, un inconnu. C’est troublant. Et son enfant qui a été massacré, c’est insupportable. J’avais envie de la prendre dans mes bras", confie Danielle Proulx.
Avant d’aborder de plein fouet la violence crue, Vincent River traite également des petites brutalités collectives, qui semblent souvent insignifiantes, mais qui peuvent pourtant être fatales. "La pièce nous renvoie surtout à nos intolérances et à nos petites violences. C’est pour cette raison que c’était important de travailler dans le respect et la délicatesse avec Renaud et Robert, parce que c’est de descendre les marches une par une. Il ne s’agissait pas de plonger tête première dans ces douleurs-là, mais d’aller les explorer et de s’aider l’un l’autre dans cette vérité-là. On a trouvé une façon sereine d’y arriver", conclut-elle.
Du 31 janvier au 10 février à 20h
À La Nouvelle Scène
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