Du vent entre les dents : Force de la nature
Dans la pièce Du vent entre les dents, de la jeune auteure Emmanuelle Jimenez, la nature devient l’élément révélateur du mal-être des personnages.
Ils ont tous un mal de vivre et une façon bien personnelle de "dealer" avec. Linda (Hélène Mercier), mère de famille banlieusarde, nage dans le bonheur depuis l’achat de sa piscine creusée. Sa soeur Lydia (Julie McClemens), médecin préoccupée par le sort de la planète, se porte quant à elle un peu moins bien. Leur mère Angèle (Muriel Dutil) entend du bruit dans son armoire à casseroles. De son côté, Luc (Jean Maheux), ex de Linda, se fond tranquillement aux meubles qu’il vend.
Il y a aussi Kevin-Olivier (Oliver Morin), le fils de Linda et de Luc, un enfant hyperactif à l’imagination fertile. Sans oublier Jessica (Émilie Bibeau), la fille de Luc, une ancienne obèse qui revient d’un séjour aux États-Unis avec un body made in USA et qui éveille sans le vouloir la libido de son propre géniteur… Outre les membres de cette famille reconstituée, on rencontre un inspecteur chien (Gary Boudreault) qui use de son intelligence humaine et de son flair animal pour retrouver les perdus de ce monde et on découvre Sue Makami Her Many Horses (Macha Limonchik), une Amérindienne prostituée qui cherche une famille.
Puis, au beau milieu de l’été, les effluves d’un feu qui consume les forêts du nord du Québec viennent semer le trouble dans l’univers déjà chaotique de ces citadins. La petite fête familiale de Linda prend une tournure inattendue lorsque son fils disparaît et que la neige inonde son rutilant barbecue. À ce moment, elle ne peut plus camoufler l’odeur âcre de sa vie à l’aide d’un spray parfumé, comme elle l’a fait pour oublier la fumée qui envahissait son espace.
UN THEME PORTEUR
Que les personnages d’une pièce soient percutés, happés, renversés par l’environnement qui les entoure, sans que le texte qu’ils portent ait une parole clairement engagée ou politique, voilà une idée novatrice qui teinte le récit d’une couleur surréaliste (mais crédible). L’opposition entre le caractère terre-à-terre de la majorité des personnages et l’ambiance magique qui les entoure crée un contraste intéressant qui nourrit les intrigues. Jimenez traite avec finesse de l’influence de l’extérieur sur l’intérieur, de l’écosystème sur les états humains. Elle démontre que même dans une bulle de verre urbaine, la nature peut s’imposer et provoquer un malaise physique qui rappelle à chacun des tourments plus profonds et insidieux.
Le feu et la neige, le chaud et le froid, provoquent vulnérabilités et rapprochements. Le texte n’apporte aucune réponse aux nombreux questionnements soulevés sur le rôle de la famille et sur la quête de soi, mais on sent une ouverture s’opérer de la part des personnages. Ils remettent en question leurs choix et éprouvent l’envie de se perdre dans cette tempête estivale, du vent entre les dents, pour mieux se retrouver.
DU PLUS PETIT AU PLUS GRAND
Dans le rôle de Sue Makami Her Many Horses, Macha Limonchik est méconnaissable. D’abord, la métamorphose physique étonne, mais la performance de l’actrice prend vite le dessus. À travers un langage né du français, de l’anglais et de l’alcool qui la grise, ce personnage se révèle le plus humain et le plus attachant, alliant force et fragilité, espoirs et déceptions.
Quelques répliques sont nécessaires avant de savourer pleinement les propos parfois grotesques de Linda, qu’Hélène Mercier réussit à rendre avec grande insouciance. La mise en scène de Martin Faucher prend assise dans un univers hautement réaliste – forgé d’objets épars du magasin Meubles en Gros – pour déboucher sur une aire éclatée, une esthétique patchwork, où l’évocation parfois floue des événements diminue la portée dramatique, mais où les différents lieux prennent aisément vie dans un seul et même espace.
Ce dernier procédé rappelle l’écriture de Jimenez, qui met en scène une juxtaposition de personnages particulièrement bien cernés – peut-être parce que l’auteure est aussi comédienne! – et qui tentent de se retrouver individuellement et collectivement pour mieux exister.
Jusqu’au 3 février
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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