Forêts : Mémoire vive
Scène

Forêts : Mémoire vive

Forêts, de loin la plus élaborée et la plus émouvante de toutes les oeuvres signées Wajdi Mouawad.

S’il est une chose que Wajdi Mouawad sait faire, c’est bien raconter une histoire. De la première pelletée de terre, jusqu’à ce que la cathédrale apparaisse dans toute sa majesté, l’homme tisse les fils du récit comme peu de dramaturges contemporains savent le faire. Cette fois, la construction est plus imposante et plus ciselée que jamais. Forêts, ce n’est pas une histoire, c’est la jonction névralgique des multiples fragments d’une aventure sans fin et probablement sans commencement, un chant qui parcourt l’humanité de part en part, se moquant souverainement du temps et des frontières.

Au coeur de Forêts, il y a Loup, une adolescente qui a mal à ses racines. Héritière de six générations d’amours impossibles, d’abandons et de destins broyés, elle n’a d’autre choix que d’agripper le fil qui la relie à toutes les femmes qui sont venues avant elle. Explorant la mémoire de ses ancêtres, elle avance, courageusement, dans la plus terrifiante et la plus obscure des forêts. Panser ses plaies, admettre l’ombre et la lumière, faire la paix avec ses morts, n’est-ce pas ce qui s’appelle vivre? Forêts aborde un nombre incalculable de sujets: des événements historiques, des questions identitaires, les grandes étapes de l’aventure humaine.

Durant les quatre heures que dure le spectacle, on passe par toute la gamme des émotions. Le territoire est authentiquement tragique, lyrique, plus grand que nature…, certains diront trop; nous leur rappellerons que le théâtre n’est pas là pour imiter la vie, mais pour la traduire, dans toute sa grandeur et sa complexité. Les acteurs, québécois, français et belge, forment une distribution contrastée; des contrastes dans le jeu, le corps et la langue qui servent admirablement une fresque dont les mouvements ne cessent de rapprocher le Québec et sa mère patrie.

Véronique Côté et Anne-Marie Olivier, deux perles de la Vieille Capitale, sont lumineuses, bouleversantes, chaque fois qu’elles mettent le pied sur scène. Linda Laplante est toujours juste, vibrante, dans chacune de ses métamorphoses. Dans les habits noirs de Loup, Marie-Ève Perron, rebelle et torturée, évite soigneusement de caricaturer son adolescente. Son monologue final est déchirant. Il faut aussi mentionner la grand-mère de Marie-France Marcotte, le paléontologue de Patrick Le Mauff et Edmond, l’enfant dans un corps d’homme interprété par Jean Alibert. Ils sont tous les trois plus vrais que nature. Et que dire d’Emmanuel Schwartz, acteur à la physionomie intrigante et à la présence unique? On n’a pas fini d’en entendre parler.

Avec de tels interprètes, les lumières somptueuses d’Éric Champoux, le décor sobre et ingénieux d’Emmanuel Clolus et le riche environnement sonore de Michel Maurer et Michael Jon Fink, Wajdi Mouawad orchestre un spectacle inoubliable, une oeuvre qui occupe d’ores et déjà une place singulière dans la brève histoire du théâtre québécois.

Jusqu’au 10 février
Au Théâtre Espace GO
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