La Cagnotte : Arriver en ville
Scène

La Cagnotte : Arriver en ville

Avec La Cagnotte de Labiche, un texte de 1864 mais dont l’action est transposée dans le Québec en crise de 1929, on nous invite à un pure vaudeville. Rencontre avec le metteur en scène, Vincent Bilodeau.

"Au départ, Labiche est un auteur à succès écrivant pour des théâtres privés qui ne marchaient qu’avec les entrées au guichet", nous dit Vincent Bilodeau. Avec cette légère adaptation de l’adaptation majeure de 1973, c’est néanmoins à un divertissement de qualité qu’on nous invite. Non seulement Denis Chouinard (rien à voir avec le cinéaste du même nom) s’est-il replongé dans sa première version pour revoir ce qui résistait moins à l’épreuve du temps et se rapprocher, sur certains plans, du texte de Labiche, mais Vincent Bilodeau a fait appel à Yves Morin pour composer une musique originale et adapter quelques classiques des années 1920 (une chanson de La Bolduc, entre autres).

Dans la production de 1973, c’est le jeune Michel Rivard qui avait composé la majorité des pièces, qu’il interprétait d’ailleurs en compagnie de Marie-Michèle Desrosiers. Avec le travail de Morin, on n’entendra pas seulement des chansons, mais aussi des pièces enregistrées écrites pratiquement pour grand orchestre.

En 1973, Vincent Bilodeau jouait Armand Champagne, le maire. À une exception près, personne de la distribution de l’époque n’avait l’âge de son personnage. Aujourd’hui interprétée par Luc Bourgeois, Andrée Cousineau, Louisette Dussault, Martine Francke, Nico Gagnon, Jacques Girard, Catherine Proulx-Lemay, David Savard et Ghyslain Tremblay, la pièce a droit à une distribution qui correspond bien aux personnages. Tous les ingrédients sont ici réunis pour bien rendre l’aspect théâtral et musical, mais aussi les particularités de l’humour vaudevillesque. "À l’exception des stand-up comiques, l’humour québécois possède un rythme lent et est plus axé sur les jeux de mots que sur les situations, or Labiche permet d’expérimenter le théâtre de situation, où le rythme est crucial et où la blague est moins importante que le contexte. En plus, nous avions une volonté de faire une critique sociale…"

D’où l’importance de l’adaptation de Chouinard, un homme engagé. En 1973, l’Amérique du Nord est confrontée à une crise, celle du pétrole. "Nous vivions nous aussi une crise de confiance face aux institutions financières. Comme nous jouions dans des polyvalentes et des cégeps, nous étions en représentation devant un public qui était politisé, socialement très conscientisé. Bref, cette pensée sociale, disons plus élaborée, correspondait à nos propres préoccupations."

Quand Pierre Rousseau, le directeur du Théâtre Denise-Pelletier, s’est mis à travailler à la programmation actuelle, il s’est souvenu de La Cagnotte de 1973 comme d’un spectacle qui s’apparentait à une boule de joie. "C’était amusant et divertissant, mais aussi vivifiant", confirme Bilodeau, qui précise que Chouinard avait procédé à une totale réécriture. "Il a gardé la structure et les personnages, mais c’est une adaptation poussée." Sur le plan de la structure, quatre tableaux sur six sont très fidèles à Labiche. "Il a fait énormément de coupures, beaucoup de changements en ce qui a trait aux péripéties. Labiche montrait des provinciaux qui montaient à Paris, et le Québec des années 1920 a vu Montréal quadrupler de population. Montréal est devenue une grande métropole perçue comme une ville de plaisir. Le rapport que les gens de la campagne avaient avec cette nouvelle ville-là était très proche de celui qu’entretenait la petite bourgeoisie de province avec la Ville lumière. Comme Chouinard possède un grand sens de l’observation, il a su bien adapter les traits de caractère de chaque personnage à notre réalité."

Pour Vincent Bilodeau, qui multiplie les rôles dans tous les genres de théâtre, tous les types de films ou de téléromans, le fait d’avoir situé cette pièce dans un contexte de crise économique "permet d’amener un niveau de critique sociale beaucoup plus aiguisé que la pièce originale." Avec Labiche, on revient toujours au point de départ, la conclusion nous ramène à la situation initiale, comme si le voyage n’avait servi à rien. Mais il y a toujours un dénouement heureux. "Malgré une grande peur, les personnages retrouvent toujours le même niveau de confort. Labiche ne voulait rien bousculer; c’était un bourgeois qui écrivait pour des bourgeois. Il ne voulait surtout pas remettre en question les valeurs et les structures de l’époque. Denis Chouinard, lui, se sert de la pièce pour poser des questions."

Jusqu’au 10 février
Au Théâtre Denise-Pelletier
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CV

Vincent Bilodeau occupe la présidence de l’Académie québécoise du théâtre depuis 2003, lui qui a siégé à de multiples conseils d’administration culturels. Il a mis en scène près d’une vingtaine de pièces, mais il est surtout connu pour ses qualités de comédien. Il a joué dans plusieurs films (dont Un dimanche à Kigali, 20h17 rue Darling et Gaz Bar Blues), et si on ne compte plus ses rôles à la télévision depuis Quelle famille (1972) jusqu’à Temps dur ou Les Bougon, on lui connaît environ 75 pièces derrière la cravate. (S.D.)