Karine Ponties : S’il te plaît, dessine-moi un mouvement
La Belge Karine Ponties revient à Montréal avec un solo résultant du dialogue entre la danse, le dessin et la lumière. Un succès qui ne cesse de se confirmer au fil d’une tournée qui compte déjà une cinquantaine de représentations.
"Karine posait, je dessinais. Elle rentrait dans l’espace de mes pages. Son corps absorbé, transformé par cette matière." Ces mots sont tirés d’un témoignage du bédéiste Thierry Van Hasselt avec lequel Karine Ponties a travaillé à la création de la pièce Brutalis. La matière dont il parle, c’est de l’encre de gravure qu’il pose au pinceau sur une plaque transparente avant d’y ajouter un diluant qui va littéralement l’attaquer, la manger. C’est la technique dite du monotype. "Thierry doit tout le temps lutter pour essayer d’inscrire son dessin; c’est comme de la sculpture sur de la lumière", explique la chorégraphe belge qui nous a déjà séduits avec les pièces de groupe Brucelles, puis Desirabilis, créée pour Montréal Danse. Fascinée par la qualité des états et la subtilité des émotions véhiculés par les personnages du dessinateur, elle lui propose un travail sur le rapport entre la fixité de la matière en mouvement (l’encre) et la réalité vivante du corps.
Leur collaboration débute par une séance de pose de quatre heures. Elle se poursuivra sur une année complète au cours de laquelle Thierry Van Hasselt participera pleinement et activement au processus de création. Il regarde, commente et, bien sûr, dessine. "Il fallait que le corps reste captif de la matière, poursuit-il. Karine travaillait un moment le mouvement puis son corps devait se figer pour retourner dans l’espace fixe et plat de ma page. La fluctuation de la matière devenant comme le journal des sensations du projet." Sur un total de 500 dessins, 180 seront finalement sélectionnés pour devenir un livre portant le même titre que la pièce. Deux oeuvres autonomes qui ne se reflètent pas, mais se répondent.
"Je n’ai pas voulu reproduire les dessins de Thierry mais j’ai essayé de traduire ce qu’ils me donnaient, précise Karine Ponties. Car ma grosse préoccupation dans mon travail n’est pas de défendre une identité comme une langue mais de traduire ce qui me touche dans la littérature, dans la peinture, dans la vie quotidienne… Parce que c’est dans la traduction qu’on s’approche le plus de l’autre." Comprendre l’autre, dialoguer avec lui, créer avec lui. L’une des caractéristiques de l’artiste wallonne est de travailler en équipe et de considérer la danse comme un moyen d’expression parmi d’autres.
"Je m’entoure souvent de créateurs d’autres disciplines parce que j’ai l’impression que chaque corps contient une écriture qui ne s’exprime pas nécessairement dans le mouvement, commente-t-elle. Je pense qu’un dessinateur est en corps à corps avec son dessin, que celui qui écrit l’est aussi avec les mots, et c’est ça qui m’intéresse. La danse ne me suffit pas en elle-même; elle peut aller très loin, mais en même temps c’est comme dans la vie: j’ai besoin d’un peu d’amour, d’un peu d’eau fraîche, d’un peu d’humour et de sérieux…"
Cofondatrice et directrice technique de la compagnie Dame de Pic, la conceptrice lumière Florence Richard fait partie des plus anciens collaborateurs de Karine Ponties. Mieux qu’une éclairagiste, elle est un des piliers sur lesquels s’appuient toutes les créations. Et même si le mouvement vient en premier, la lumière le transforme, lui fait dire autre chose. "Ce spectacle demande énormément de précision, affirme la chorégraphe-interprète. Si je me déplace d’un demi-centimètre, je suis en dehors de tout. En même temps, il me demande énormément d’abandon et aussi d’être à fond."
De fait, Brutalis est une évocation accélérée de l’évolution de l’espèce humaine, passant du primitif à l’architectural, "ce qui est calculé par la tête", pour aboutir au social, qui semble révéler une dégénérescence plutôt qu’une progression évolutive de l’humanité. Un voyage étrange et merveilleux où le corps se décompose et se métamorphose pour tenter de percer le mystère du vivant.
Du 1er au 3 février à 20 h 30 et le 4 février à 16 h
À Tangente
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Les peintres Jérôme Bosch, Breughel, James Ensor ou Félicien Rops
Le travail du chorégraphe Russell Maliphant et de l’éclairagiste Michael Hulls