Jean Asselin : Corps accords
Jean Asselin s’apprête à dévoiler L’amour est un opéra muet, une relecture bien personnelle du Cosi fan tutte de Mozart.
Au Québec, Jean Asselin est une référence en matière de mime corporel, cet art auquel Étienne Decroux a donné ses lettres de noblesse. À la tête de la compagnie Omnibus depuis sa fondation, en 1970, le metteur en scène s’est mesuré aux univers les plus contrastés: Shakespeare, Faulkner, Japrisot, Mackenzie, Sarraute… C’est que rien ne semble le stimuler davantage que de confronter son art aux autres, de susciter entre le mime et les autres disciplines un dialogue transcendant: "Au cours des années, Omnibus a fait beaucoup d’expériences singulières de transversalité entre les arts. Je pense notamment au Jeu de Robin et Marion, un spectacle marquant, créé en 1986 avec l’Ensemble Anonymus. C’était la première fois qu’on intégrait un corps musical à la dramaturgie d’un spectacle."
Pour dire vrai, Jean Asselin prend un malin plaisir à introduire le mime là où l’on s’y attend le moins. Sa plus récente création, L’amour est un opéra muet, n’échappe pas à la règle. Avec la complicité de Normand Forget, directeur de la formation Pentaèdre, un quintette à vent montréalais toujours prêt à vivre des expériences hors norme, le créateur s’approprie le Cosi fan tutte de Mozart. Rien de moins.
LIAISONS DANGEREUSES
Créé à Vienne en 1790, Cosi fan tutte est sûrement l’un des opéras les plus intrigants de Mozart. Alors au sommet de leur art, le compositeur et son librettiste, Lorenzo da Ponte, parviennent à imbriquer le comique et le tragique de manière particulièrement troublante. Judicieusement sous-titré "L’École des amants", l’opéra exprime ce déchirement profondément humain entre la sagesse et l’assouvissement du désir. L’intrigue est simple. Deux frères, sûrs de l’attachement de leurs bien-aimées, font un pari avec un vieil ami célibataire qui doute de la fidélité féminine. Déguisé, chacun courtise la fiancée de l’autre. Au terme de cette cruelle démonstration, tous les personnages panseront leurs plaies.
Pendant que Danièle Bourget (flûte), Martin Carpentier (clarinette), Normand Forget (hautbois), Mathieu Lussier (basson) et Louis-Philippe Marsolais (cor) interprètent 24 fragments de l’opéra de Mozart, dans les arrangements d’Ulf-Guido Schäfer, Jean Asselin fait "chanter" les corps de Sylvie Chartrand, Mariane Lamarre, Christian LeBlanc et Martin Vaillancourt. Durant l’heure et demie que dure la représentation, le désir est le seul et unique fil conducteur, il circule constamment dans et entre les corps des interprètes et des musiciens.
À travers les péripéties imaginées par da Ponte, Jean Asselin s’est tracé un parcours bien à lui. Il s’est d’abord permis d’éliminer deux personnages, Don Alfonso, le célibataire invétéré, et Despina, la servante retorse, pour ne retenir que le quatuor fondamental: Ferrando, Guglielmo, Fiordiligi et Dorabella. Campée dans notre époque, plus tragique que comique, sa relecture insiste sur la dimension sociale du livret: "Ce qui m’intéresse, ce sont les statuts sociaux des groupes mis en présence. Les cinq musiciens forment un groupe de gens fortunés, ils représentent l’aristocratie de l’art. Quant aux quatre jeunes gens qui les visitent, ils représentent le prolétariat rampant. Ils ne connaissent pas Mozart, mais sitôt que la musique démarre, ils sont traversés, inspirés par elle. Se déclinent alors toutes les relations amoureuses qui peuvent exister entre deux hommes et deux femmes."
Ces variations sur le même thème, cette mathématique amoureuse, c’est l’argent qui viendra les pervertir. Est-il nécessaire de dire que les jeunes protagonistes vont repartir beaucoup moins naïfs qu’ils ne sont arrivés?
Du 13 février au 3 mars
À l’Espace Libre
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