La Compagnie Pétrus : Silence, on joue!
La Compagnie Pétrus présente Son visage soudain exprimant de l’intérêt, un spectacle muet composé de deux pièces distinctes écrites par Franz Xaver Kroetz et Philippe Ducros.
Depuis qu’ils ont fondé la Compagnie Pétrus, en 2000, le metteur en scène Jérémie Niel et la comédienne Catherine Lépine-Lafrance donnent naissance à des productions dans lesquelles le silence jouit d’une attention toute particulière. "On a toujours travaillé sur des textes dits, mais il fallait souvent couper parce qu’on accorde une place importante au non-dit. Assez naturellement, on a eu envie de faire un travail exclusif sur ce silence-là. Quand on ne dit pas, on joue avec le corps. La présence physique dans l’espace devient alors essentielle", explique Jérémie Niel.
ENTRE LES LIGNES
Voilà pourquoi le metteur en scène a eu l’idée de monter la pièce muette Concert à la carte, rédigée dans les années 70 par l’Allemand Franz Xaver Kroetz. Lors de cette première partie du spectacle, le public pénètre dans les coulisses existentielles de Mlle Rasch, une femme dans la quarantaine qui, comme à l’habitude, entre un soir chez elle et exécute sa routine quotidienne composée d’une série de petits gestes répétitifs qui la rassurent et l’oppressent à la fois. Puis, une rupture franche se produit. "Ça peut paraître banal, mais il faut aussi chercher à voir ce qu’il y a entre les gestes. Et c’est une histoire qui finit mal", explique la comédienne Violette Chauveau, qui incarne pour la première fois un personnage muet. "En général, quand on joue, on est rempli d’un état émotif et, à un moment donné, le trop-plein sort et s’exprime par le texte. Mais là, il y a l’oppression du quotidien et l’oppression de ne pas parler qui s’expriment à travers le personnage. Moi aussi, j’ai vraiment beaucoup de difficulté avec le quotidien. La routine, ça m’angoisse. Je pouvais comprendre cela chez Mlle Rasch", confie-t-elle.
Le goût pour l’inconnu et la peur de la sécurité, voilà ce qui a poussé Violette Chauveau à accepter le rôle que lui a proposé Jérémie Niel. "Quand il y a des risques et que je ne connais pas les résultats, j’embarque", lance-t-elle. Aucune parole, donc, pour permettre à la comédienne d’entrer dans la peau de Mlle Rasch. Le texte de Kroetz – une longue didascalie qui décrit les actions que pose son personnage et qui contient quelques indications de jeu – constitue sa seule référence. "Il a fallu trouver tout ce qu’elle se dit dans sa tête pour qu’elle soit habitée. Au départ, c’est sûr qu’il y a eu un travail très technique pour arriver à intégrer une sorte de chorégraphie. Ensuite, il faut s’approprier cette chorégraphie et la rendre vivante", indique Chauveau.
BRUYANTE SOLITUDE
L’année dernière, Jérémie Niel a demandé à l’auteur Philippe Ducros d’écrire une suite (muette) à la pièce de Kroetz. Objectif? Juxtaposer sur scène ces deux partitions distinctes et créer une seule oeuvre: Son visage soudain exprimant de l’intérêt. De là est née Le Bocal, deuxième partie du spectacle qui fait écho à la première, puisque Ducros a délibérément choisi d’établir un lien clair entre les personnages et leur univers.
L’histoire dépeint un adolescent qui cherche à joindre quelqu’un au téléphone pour fuir sa solitude. "Il est aussi seul que Mlle Rasch, sauf qu’il essaie d’établir un contact avec l’extérieur", dit Jérémie Niel. Un autre récit où le happy end cède sa place. Élément audacieux: c’est une comédienne, Catherine Lépine-Lafrance, qui interprète l’adolescent. "On a essayé de chercher toute l’ambiguïté physique de l’adolescence, la difficulté à habiter son corps. Puis, le travail de composition que la comédienne fait pour jouer un garçon se rapproche du travail que l’ado fait pour essayer d’avoir l’air adulte", soutient le metteur en scène. "Ce sont des personnages assez impersonnels, d’une certaine façon. Je pense que ça représente le ON général… Ça pourrait être tout le monde", enchaîne Violette Chauveau.
Les spectateurs sont donc conviés à toucher du doigt l’intimité absolue d’une femme mûre et d’un jeune homme. Puis, pour aider le public à se rapprocher d’eux, Jérémie Niel use d’une technique de sonorisation qui lui est chère. À vous de la (re)découvrir… "Toute action, même minime, remplira totalement l’espace par le son qu’elle produit. Lorsque le moindre petit geste est important, le grand geste l’est encore plus", note-t-il.
Du 16 février au 23 mars
Au Théâtre La Chapelle