Philippe Besson : À la recherche du temps perdu
Scène

Philippe Besson : À la recherche du temps perdu

Philippe Besson connaît bien Montréal. Il y a écrit, en 1999, la première phrase de son premier roman. Ces jours-ci, le romancier français a deux excellentes raisons de traverser l’océan. Au moment même où Se résoudre aux adieux, son nouveau-né, fait son apparition dans nos librairies, Les Jours fragiles, son cinquième opus, paru en 2004, est porté à la scène par Denis Lavalou.

En 2001, Philippe Besson, alors juriste en pleine ascension, met pour ainsi dire le doigt dans l’engrenage. La jeune trentaine, sous l’emprise des mots, il ose un premier roman: En l’absence des hommes, une histoire de guerre et d’amour où Marcel Proust est formidablement ressuscité. La critique est plus qu’enthousiaste et l’ouvrage reçoit le prix Emmanuel-Roblès. Depuis, chaque année, Philippe Besson nous offre un nouveau livre, des oeuvres ciselées et poignantes que l’on savoure: Son frère (adapté au cinéma par Patrice Chéreau), L’Arrière-saison, Un garçon d’Italie, Les Jours fragiles, Un instant d’abandon, L’Enfant d’octobre

Guidé par de stimulantes contraintes formelles – journal intime, tableau vivant, confessions d’outre-tombe ou genre épistolaire -, l’écrivain a l’audace de s’engager dans les plus secrets replis de l’être: "Je dois trouver la forme avant d’écrire le moindre mot. Mais c’est évidemment l’histoire qui prime. Il faut avoir un propos. Une trajectoire. Un objectif. Toutefois, j’accorde une importance considérable à la narration. Dans presque tous mes livres, je m’exprime à la première personne du singulier et au présent de l’indicatif parce que j’ai besoin d’une proximité, d’une empathie avec le personnage principal. J’endosse sa personnalité comme un comédien interprète un rôle. Le journal intime ou les lettres sont, par ailleurs, le lieu par excellence du dévoilement de soi. Moi qui n’écris que sur le lien, sur le sensible, cela me paraît indispensable de procéder de la sorte."

MES HEROÏNES

Les Jours fragiles, ce sont les six derniers mois de la vie d’Arthur Rimbaud, racontés par sa soeur, Isabelle, dans ses carnets intimes. Bien plus qu’un fantasme littéraire, le journal est sensible et documenté. On pénètre au plus profond des relations troubles qui relient Isabelle, Arthur et Vitalie, leur mère.

En 1891, Arthur revient au bercail, dans les rudes Ardennes, après 11 ans d’exil en Afrique. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Amputé d’une jambe, gravement malade, il est loin d’avoir la superbe d’un poète surdoué et scandaleux. À sa soeur, qui a grandi dans son absence, il n’a plus que des jours fragiles à offrir. Qu’à cela ne tienne, la prude et catholique Isabelle accepte d’accompagner vers la mort un frère drogué, athée et homosexuel.

Avec Philippe Besson, l’écriture romanesque va forcément chercher du côté de la tristesse, voire de la tragédie: "On ne fait pas de bons romans avec des bons sentiments. Les histoires où tout se termine bien, où l’on se marie et fait des enfants, sont des contes de fées. Ce qui est intéressant, c’est de confronter des êtres ordinaires à une épreuve. Mes héroïnes, souvent, sont confrontées à la disparition d’un être cher: frère, fils, amant. Elles doivent se débrouiller avec la perte, l’absence, le manque de l’autre. Elles sont à la fois volontaires et fragiles, animées d’une grande puissance et dans le même mouvement très friables. Elles sont dignes et lucides."

Il en va de même pour Louise, la narratrice de son plus récent roman, Se résoudre aux adieux. Lorsque l’homme qu’elle aime la quitte pour une autre femme, Louise décide de fuir Paris. De Cuba, d’Amérique ou d’Italie, elle écrit à l’autre comme on s’écrit à soi-même. Nostalgique, mais terriblement honnête, Louise panse lentement ses plaies, fait l’apprentissage de la disparition, apprivoise le vide. Cette fois, l’écrivain estime avoir procédé à l’autopsie d’une histoire d’amour: "Je voulais raconter par le menu un processus de guérison. Dire les exils. Et trouver la voix d’une femme dans son exactitude afin qu’on croie impossible qu’un homme ait pu écrire cette histoire-là. La douleur de Louise est à la fois unique et universelle, singulière et partagée par nous tous. Cette femme n’est exemplaire de rien et pourtant, sa parole nous touche parce qu’elle parle à nos névroses, à nos souvenirs, à nos blessures."

Selon Philippe Besson, les êtres chers ne nous quittent jamais vraiment: "On n’en finit jamais avec ses morts. On ne guérit jamais de ses disparus. Au mieux, on les range dans un livre d’images qu’on feuillette avec tendresse. On s’arrange pour qu’ils nous fassent moins mal et on a pour eux une pensée douce et calme."

Se résoudre aux adieux
de Philippe Besson
Éd. Julliard, 2007, 188 p.

Les Jours fragiles
de Philippe Besson
Éd. Julliard, 2004, 188 p.

Du 20 février au 10 mars
Au Théâtre Prospero
Voir calendrier Théâtre

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L’EPREUVE DE LA SCENE

Alors que le cinéaste français François Dupeyron envisage de faire un film avec Les Jours fragiles, Denis Lavalou, codirecteur artistique du Théâtre Complice (Roche, papier, ciseaux), dévoile son adaptation entre les murs du Prospero.
À l’idée d’assister à la première de la première transposition théâtrale d’une de ses oeuvres (il sera à Montréal pour l’occasion), Philippe Besson semble particulièrement serein: "Les livres sont des objets vivants et non des objets sacrés ou morts. Ils doivent continuer de vivre, sous d’autres formes. Je n’ai aucun problème avec la dépossession, ni même avec la trahison. Je suis curieux de voir ce que Denis a fait de mon roman, très respectueux aussi de son travail, de l’originalité de son regard, de la singularité de sa démarche." Il faut dire que Denis Lavalou a eu la bonne idée, pour entrer dans le roman, de se servir du personnage de la mère: "Faire lire à Vitalie Cuif-Rimbaud (Ginette Morin) les cahiers intimes de sa fille, plusieurs années après la mort d’Arthur (Marcel Pomerlo) et le mariage tardif d’Isabelle (Marie-Josée Gauthier), me permet de lui donner une voix. Elle commente ce qu’elle lit, agite des spectres, entre dans la dynamique des scènes et donne son propre point de vue."
De cette façon, le créateur s’assure d’imposer chacun des trois personnages, de restituer les moindres nuances de leur déchirante relation: "Dans l’accompagnement vers la mort, il se produit une mise à l’épreuve du lien, une expérience d’où les trois personnages sortiront profondément modifiés."