Serge Denoncourt : Eaux troubles
Serge Denoncourt signe la mise en scène de Nager en surface, deuxième chapitre du cycle états-unien du Théâtre de l’Opsis.
Si Under construction, le premier volet du cycle états-unien du Théâtre de l’Opsis, évoquait les avant-gardes artistiques des années 50, 60 et 70, le deuxième, Nager en surface, est bel et bien ancré dans l’ici et maintenant.
Créée en 2000, la pièce d’Adam Bock aborde, semble-t-il avec un humour ravageur, les désordres amoureux et identitaires de notre époque. Maintes fois récompensé pour son travail, intéressant de plus en plus les petites et moyennes compagnies, en Californie et ailleurs, le dramaturge canadien dans la quarantaine, qui vit aux États-Unis depuis plusieurs années, n’a jamais été monté au Québec. Heureusement que Serge Denoncourt s’est décidé à nous le faire connaître: "Si j’ai voulu monter cette pièce, c’est d’abord parce qu’elle me fait beaucoup rire. Elle décrit merveilleusement ce que nous sommes, toute cette mode de psycho pop à la Oprah Winfrey, où l’on parle de nos émotions sans jamais aller en profondeur. Ce sont des techniques, des trucs, on s’écoute parler. On a l’impression d’être allé très loin, alors qu’au contraire il n’y a jamais d’introspection, tout se passe à l’extérieur."
Pour dépeindre cette réalité, il semble qu’Adam Bock possède tout un talent de dialoguiste: "Il écrit des dialogues exceptionnels, qui traduisent exactement la manière dont on parle dans la vie, avec les idées qui tournent sur un dix sous. Les personnages ne parlent pas de la même chose au même moment, ils font semblant de se parler et de s’écouter, ils se noient dans le placotage."
Adam Bock restitue son époque, dessine, avec un réalisme à peine décalé, des personnages en perte totale de repères. Pour se donner l’impression de vivre, les six protagonistes de la pièce, interprétés par Annick Bergeron, Pierre Bernard, Stéphane Breton, Patrice Godin, Élise Guilbault et Marie-France Lambert, pataugent frénétiquement à la surface des choses: "Les six personnages sont engagés dans une quête de bonheur, mais ils sont d’une maladresse désespérante et surtout d’une superficialité inimaginable. Ils font des détours épouvantables et niaiseux." Il y a Barb, qui veut se débarrasser de tout ce qu’elle possède. Elle ne veut garder que huit choses, parce qu’elle a lu, dans les pages du National Geographic, que les moines bouddhistes ne détenaient que huit objets. Évidemment, elle n’y arrive pas, parce qu’elle magasine chez Costco et que Bob, son mari, lui fait sans arrêt des cadeaux. Il y a aussi Carla Carla et Donna, deux lesbiennes qui ne cessent de remettre leur mariage à plus tard. Il faut dire qu’elles font face à un problème de taille: Carla Carla n’aime pas que Donna fume. Puis il y a Nick, un gai dans la quarantaine qui, lassé des aventures d’un soir, veut une relation stable. Jusqu’au jour où il tombe amoureux de Mako, un superbe requin. Selon Denoncourt, la métaphore est assez riche: "C’est assez intelligent, parce que le même texte pourrait s’appliquer à un Noir, un Arabe ou un musulman. La vraie question, c’est: est-ce que je suis prêt à aller jusque-là pour être aimé?" En effet, comment est-ce qu’on annonce à ses parents qu’on est sous le charme… d’un requin?
Par la bande, la pièce, que le metteur en scène a lui-même traduite, aborde une foule de sujets: "Il est question d’engagement, de mariage, de couple, de surconsommation, de spiritualité, de peur de l’autre… mais tout en ayant l’air de ne pas y toucher. Et ça, j’aime ça. C’est une voix très intéressante, parce qu’elle n’est pas du tout sociale, pas du tout politique. L’auteur ne prend pas position, il ne fait pas la morale, il se contente de brosser un portrait ressemblant, horriblement ressemblant."
Du 20 février au 17 mars
Au Théâtre Espace Go
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