Kvetch : Clé anglaise
Kvetch, un remarquable premier spectacle pour le Théâtre de la Marée Haute.
Le théâtre de Steven Berkoff est fascinant. Ses pièces, cruelles et provocantes, un peu comme celles de Howard Barker et Edward Bond, sont emblématiques d’une subversion purement britannique. Cette dramaturgie fait rire et grincer des dents, elle lève le voile sur les sentiments les plus inavouables, les désirs les plus refoulés, les zones les plus obscures de la vie en société. On ose très rarement monter Berkoff au Québec. En 1997, au Théâtre de Quat’Sous, Serge Denoncourt dirigeait Monique Miller et Jean-Louis Millette dans Décadence, une rencontre inoubliable.
Pour sa première mise en scène professionnelle, Michel-Maxime Legault, diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2005 et cofondateur du Théâtre de la Marée Haute, a jeté son dévolu sur Kvetch, une pièce américaine sur l’angoisse, traduite par Geoffrey Dyson et Antoinette Monod. Le pari, de taille, a été relevé haut la main. Si l’aventure était hasardeuse, c’est que la partition comporte plusieurs pièges, notamment celui de la caricature. La lecture de Legault, limpide, soignée, se tient toujours sur les limites, celles du comique, du tragique, du drame et du vaudeville, sans jamais sombrer dans l’excès. Au simple mais redoutable procédé imaginé par Berkoff – les personnages font entendre aux spectateurs, à haute voix, le fond de leur pensée -, le metteur en scène a fait pleinement confiance. Heureusement, parce que transformer ces êtres en clowns aurait suffi à les couper de nous.
Or, c’est bien de nous dont il est question. Kvetch est un miroir, celui des mille et une peurs qui nous hantent, petites ou grandes, jour et nuit. Frank (Sébastien Dodge), son ami Hal (Jean-Olivier St-Louis), sa femme Donna (Marie-Claude Giroux), sa belle-mère (Lyette Goyette) et son client George (Nicolas Létourneau), tous les personnages vivent terrassés par la peur d’être eux-mêmes. Les cinq acteurs de la distribution sont justes, mais Dodge, définitivement dans son élément, brûle les planches. Savoureuse critique du mode de vie nord-américain, où l’argent et la performance sont portés aux nues, la pièce de Berkoff est défendue avec beaucoup de fougue par la Marée Haute, un nouveau joueur qu’il faudra garder à l’oeil.
Jusqu’au 3 mars
À l’Espace Geordie
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