Son visage soudain exprimant de l'intérêt : Les grands ballets quotidiens
Scène

Son visage soudain exprimant de l’intérêt : Les grands ballets quotidiens

Avec Son visage soudain exprimant de l’intérêt, la compagnie Pétrus accouche d’un silence assourdissant qui envahit les corps et l’espace.

Voici deux histoires qui, sur scène, se déroulent l’une après l’autre, mais dont l’action – on le comprend à la fin du spectacle – se produit en même temps, dans une ville quelconque. Le spectacle s’ouvre avec Concert à la carte, un texte muet de l’Allemand Franz Xaver Kroetz. Mlle Rasch entre dans son humble demeure. Elle revient du travail. Elle range ses emplettes, va dans la salle de bains, s’ausculte, mange, fait quelques étranges rituels avec son fromage à la crème, ouvre la radio, tricote, fume. Elle répète en silence son grand ballet quotidien de la solitude. Puis, elle prépare la table du petit-déjeuner, se déshabille, se couche et se relève en panique avant d’avaler sa boîte de pilules. C’est alors que son visage exprime soudainement de l’intérêt, grisée qu’elle est par l’angoisse et l’excitation de se libérer enfin de cette routinière chorégraphie.

Noir. Déplacement des quelques meubles – lit, commode, table – qui constituent le décor. On entre ainsi dans la deuxième partie du spectacle, une oeuvre muette intitulée Le Bocal, écrite en 2005 par l’auteur Philippe Ducros dans l’idée de créer une suite au texte de Kroetz. Un ado tourne en rond dans sa chambre. Il est particulièrement tendu et agité. Diabétique, il prend un plaisir malsain à se bourrer de sucreries. Il essaie d’établir un contact téléphonique avec des gens, se gave compulsivement de Smarties, se défoule sur son pauvre poisson rouge et tente en vain de rejoindre Mlle Rasch avant de s’endormir, l’angoisse au ventre.

ÉLOQUENCE DU SILENCE

Il est fascinant de constater à quel point la trajectoire respective des deux personnages, même dictée par le non-verbal, s’apparente à une histoire racontée. Sans un mot, la comédienne Violette Chauveau réussit à nous transmettre toute la détresse humaine de cette femme, l’oppression destructrice qui l’habite. On a presque envie de parler ou de crier à sa place, pour qu’elle respire un peu mieux. De son côté, Catherine Lépine-Lafrance revêt jeans et kangourou amples pour mettre au rancart sa féminité et trouver le jeune homme qui sommeille en elle. Pour une raison difficile à verbaliser, le malaise de ce deuxième personnage nous interpelle moins. Peut-être parce que Mlle Rasch, entre deux gestes méticuleusement découpés, s’arrête fréquemment pour réfléchir, affichant un air tristement indifférent au visage et une lourdeur existentielle qui glace le sang.

Certes, on ne pénétrerait pas aussi aisément ces replis de l’âme sans l’efficace technique sonore du metteur en scène Jérémie Niel. Ce dernier a truffé le décor de micros. Chaque geste, mouvement ou respiration est senti parce qu’amplifié. La scénographie de Stéban Sanfaçon constitue une fenêtre ouverte sur l’intimité des deux individus, notamment parce que le mur qui sépare la pièce principale de la salle de bains – endroit intimiste par excellence – est transparent. Le public devient voyeur, ce qui provoque chez lui malaise et attraction.

Jusqu’au 3 mars
Au Théâtre La Chapelle
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