Au-delà du rire : Deux solitudes
Scène

Au-delà du rire : Deux solitudes

Dans la pièce Au-delà du rire, la censure est dépeinte comme étant à la fois une source d’inhibition et de stimulation du processus créateur.

L’auteur japonais Koki Mitani, véritable vedette dans son pays d’origine et grand amoureux des Woody Allen et Neil Simon de ce monde, ne semble pas pour autant faire l’éloge de la censure. Il rend plutôt hommage à toutes les astuces possibles et inimaginables pour que le rire éclate au grand jour. Et c’est notamment pour redonner ses lettres de noblesse à l’humour que l’un des deux personnages principaux du récit, un auteur de comédie (incarné par Martin Drainville), se bat.

Dans le Japon des années 40, ce dernier – qui répond au nom de Hajime Tsubaki – doit obligatoirement obtenir un permis de représentation délivré par le bureau de la censure pour que sa pièce soit montée. Mais l’oeuvre, une adaptation libre et rigolote du Roméo et Juliette de Shakespeare, ne trouve pas grâce aux yeux du censeur Mutsuo Sakisaka (Luc Guérin) qui, en ce temps de guerre, juge futile et déplacé tout propos ludique ou amoureux. Nouvellement en poste, conservateur, patriotique et parfait ignare de la culture théâtrale, Sakisaka impose une foule de contraintes démentes à un écrivain prêt à tout pour que triomphe le drolatique et la liberté d’expression.

PLAISIRS BURLESQUES

Les acteurs nous convient à un huis clos qui se joue en sept jours et huit tableaux – entrecoupés des passages musicaux de Carol Bergeron, qui marie habilement sonorités orientales et occidentales – et qui mettent en scène une confrontation entre les valeurs conformistes et modernes, ainsi qu’un échange constructif d’idées. L’auteur, qui réécrit son texte la nuit pour y incorporer les exigences du censeur, use ingénieusement de ces contraintes pour augmenter la dose d’humour. Mais la dimension comique de Au-delà du rire semble résider dans le côté pathologiquement pointilleux du censeur et dans l’ouverture d’esprit qui se dessine chez lui. Peu à peu, cet homme rigide et taciturne apprend à décoder les éléments cocasses d’une pièce et à lâcher son fou pour s’abandonner aux plaisirs burlesques. Difficile, par contre, de croire en ce revirement subit de situation.

Le décor est on ne plus simple: une table, deux chaises et un portrait de l’Empereur accroché au mur. Carl Béchard axe sa mise en scène sur le duel d’acteur Drainville-Guérin. La façon de s’exprimer de Guérin est toujours très dure, rythmée, presque militaire. On comprend ici que la rigidité d’esprit du personnage s’exprime à travers le ton de sa voix. À l’inverse, le langage de Martin Drainville demeure beaucoup plus souple, à l’image de l’auteur qu’il incarne. Mais l’accent québécois de Drainville et la sonorité formelle (et orientale) du discours de Guérin s’accordent difficilement, malgré cette façon "linguistique" et originale de mettre en image la dualité des deux hommes.

Ici, une adaptation du texte original aurait sans doute donné de meilleurs résultats qu’une simple traduction. Dans son rôle d’auteur angoissé et malmené, Drainville assure, mais le comédien offre une performance plus efficace lors des passages franchement délirants, notamment lorsque son personnage se déguise en Juliette japonaise. On n’y croit pas, mais on retrouve avec joie la délicieuse folie qui anime le comédien.

Jusqu’au 3 mars
Au Théâtre du Rideau Vert
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