Je ne pensais pas que ce serait sucré : L’Effet papillon
Le Théâtre du Double Signe et La Rubrique présentent en collaboration la pièce Je ne pensais pas que ce serait sucré. Surtout, que la vie ne soit pas amère. C’est bien à ça que sert le théâtre: mettre du sucre sur la langue.
Pour la première fois, le Théâtre du Double Signe et le Théâtre La Rubrique s’associent dans le cadre d’une production qui a eu des échos à Saguenay et maintenant à Sherbrooke: Je ne pensais pas que ce serait sucré. C’est Patrick Quintal, directeur artistique du Double Signe, qui assure la mise en scène du texte de Catherine Cyr, secondé en cela par Julie Gagnon.
"On voulait avoir une vraie rencontre entre deux compagnies, entre deux équipes, entre des artistes vraiment de région", explique Benoît Lagrandeur, directeur artistique de La Rubrique, qui incarne le personnage de Lucas. "C’est vraiment une coproduction interrégionale." Ainsi, tout le travail, des comédiens comme des concepteurs, a été divisé équitablement de façon à jumeler les forces de chacun.
"On avait déjà vécu une coproduction il y a trois ans, avec le Trillium d’Ottawa et le Théâtre Blanc de Québec…" souligne Quintal, parlant de l’expérience du Double Signe. "Je trouvais que c’était une formule intéressante pour des compagnies qui sont en région, tant sur le plan des rencontres artistiques que sur le plan de la diffusion. Intéressant parce que ça permet de doubler, ou de tripler, le nombre de représentations qu’on peut faire dans un temps assez restreint." Malgré l’irrémédiable distance qui sépare Sherbrooke de Saguenay, et qui apporte son lot d’inconvénients, l’équipe reconstituée semble avoir soudé des liens forts et développé une belle complicité, résonnant de plusieurs éclats de rire dans la salle de répétition.
UN DIABLE DECONFIT
Ange déchu, projeté du ciel vers les profonds abîmes de l’enfer, voilà que Lucifer (Benoît Lagrandeur) – Lucas de son petit nom – tombe des nues. Un regard lucide sur notre monde lui fait prendre conscience qu’il a encore une fois été détrôné: l’humanité fait bien le mal sans avoir recours à ses conseils… De bouleversantes remises en question le propulsent alors dans une grave crise d’identité qui le pousse à se livrer aux bons soins de la Dre Anna Bettelcott (Guylaine Rivard), psychologue qui pourra peut-être l’aider à se retrouver, à reprendre confiance en ses capacités. Le tableau est certainement cocasse. Et la déchéance de Lucifer promet d’hilarantes confessions sur le divan…
Comme rien n’est jamais simple, entre en scène la délicieuse Rose (Marianne Roy), une adolescente de 13 ans, fille de Bettelcott, qui éveillera chez le prince des démons ce terrible sentiment qui ne l’avait jamais hanté auparavant… Eh oui, ce bon vieux diable est amoureux! Alors que la mythologie le présente comme le Tentateur et le Séducteur, il devient lui-même tenté et séduit… La jeunesse et la candeur chatouillent le coeur de celui dont on avait cru qu’il en était départi…
Est-ce le démon du midi qui crée ce noeud dans les tripes du prince des ténèbres? Soumis à cette décharge, aussi soudaine qu’insolite pour l’être désincarné qu’il est, son univers sera totalement transformé. Lui-même se métamorphosera, à l’image de ces petits êtres fragiles qui suscitent toute la passion de la jeune et angélique Rose, les papillons. Et pendant ce temps, Perséphone (Lysanne Gallant) tend la main au malin, qui devra choisir quelle saveur aura son avenir…
Même si elle aborde la traditionnelle antithèse du bien et du mal, l’auteure aurait réussi à le faire tout en nuances… "L’onirique est très fort, dans le texte de Catherine", soutient Lysanne Gallant. "C’est très doux, même s’il y a des trucs difficiles, violents." Quintal se veut rassurant: "On n’est pas dans l’horrible. Il y a là une beauté certaine. C’est magnifique, dans le texte, ce qu’on nous propose." Une pièce pour ceux qui sont gourmands de la vie, et qui la préfèrent sucrée…
UNE EQUIPE DE COMEDIENS AGUERRIS
Le parcours de la plus jeune des comédiennes, Marianne Roy, lui a fait courtiser le théâtre dès son plus jeune âge, alors qu’elle a fourbi ses premières armes en participant aux ateliers du Théâtre du Double Signe. Depuis, elle a été membre fondatrice du théâtre des Turcs Gobeurs d’Opium.
Lysanne Gallant est directrice artistique, metteure en scène et comédienne de Traces et Souvenance et Par le chemin des fresques. Elle oeuvre comme pigiste dans le milieu du théâtre, flirtant avec toutes les sphères qui y sont rattachées, même avec l’animation d’ateliers et la production de dramatisations pour documentaires (Dossiers mystère).
Guylaine Rivard dirige le Théâtre CRI (centre de recherche en interprétation) et agit comme comédienne dans plusieurs productions. Elle incarnait entre autres la Mort dans la production Le Festin, mise en nomination pour le Masque de la production régionale 2006.
Benoît Lagrandeur est codirecteur général de La Rubrique et assure sa direction artistique, en plus d’avoir été comédien pour de nombreuses productions, dont Le Festin. (J-F.Caron)
LE MÉLANGE DES GENRES
Après 12 représentations au Saguenay, l’équipe de Je ne pensais pas que ce serait sucré investit le Petit Théâtre de Sherbrooke pour autant de représentations.
Le metteur en scène Patrick Quintal et l’auteure Catherine Cyr sont particulièrement enthousiastes lorsqu’ils parlent de la production. Ils évoquent la scénographie "sobre et très parlante" de Serge Lapierre, la musique de Jacques Jobin, les costumes significatifs d’Hélène Soucy et les images fabuleuses d’Anh Minh Truong. Le réalisateur sherbrookois avait notamment pour mission de récréer l’enfer imaginé par l’auteure: une papillonneraie.
Pour Catherine Cyr, il s’agit d’un premier texte monté de façon professionnelle. Elle l’avait déposé en 2003 au Centre des auteurs dramatiques, où le directeur artistique de la Rubrique, Benoît Lagrandeur, l’a commandé. "Ça a été une surprise pour moi que Benoît vienne vers moi avec ce projet-là de donner vie au texte." Comment a-t-elle trouvé la lecture du Double Signe et de la Rubrique? "J’ai été tout à fait heureuse et charmée", répond-elle en vantant le travail des concepteurs.
La rencontre saugrenue entre Lucifer et une psychiatre a servi de prétexte de base à l’auteure de 32 ans pour aborder le thème des crises identitaires et des passages de la vie. Elle n’a pas hésité à puiser sa matière première dans différents répertoires. Elle a repris l’image de Rose Latulippe dansant avec le diable – "J’ai triché un peu avec la légende […] J’ai joué avec et je l’ai tordue", dit-elle en riant. Elle est aussi allée piger dans la mythologie grecque pour le personnage de Perséphone (Lysanne Gallant), une déesse qui appelle Lucas-Lucifer (Benoît Lagrandeur) vers la mort. "Moi, c’est ce qui m’avait séduit beaucoup dans le texte: ce mélange des univers, indique Patrick Quintal. Catherine a une voix originale." (É.Giguère)
Du mercredi au samedi
Jusqu’au 24 mars
Au Petit Théâtre de Sherbrooke
Voir calendrier / Théâtre