Les Denis Drolet : La vie en brun
Scène

Les Denis Drolet : La vie en brun

Les inclassables Denis Drolet sont de retour avec un deuxième spectacle à l’univers encore plus éclaté et déstabilisant que le précédent. Rencontre avec les hommes en brun.

Attablés dans un petit café du centre-ville, Sébastien Dubé, dit le barbu, et Vincent Léonard, alias les palettes, sirotent tranquillement leur boisson en se tirant la pipe. Même si le terme "absurde" lui colle à la peau depuis ses débuts en 2000, le tandem refuse tout cloisonnement. "Tu sais, on a apposé mille étiquettes différentes à notre humour, mais ce qu’on fait, en réalité, c’est de l’humour brun. Un mélange entre l’absurde, le noir, le thrash, l’enfantin, le non-sens, le burlesque et le grossier. C’est un joyeux amalgame de toutes les couleurs humoristiques possibles et imaginables", précise d’entrée de jeu le Denis barbu.

En humour, le timing est crucial et les Denis Drolet ont eu la chance de se trouver à la bonne place au bon moment. Véritables extraterrestres dans l’univers plutôt aseptisé de l’humour québécois, les amis d’enfance ont préféré emprunter une route plus escarpée que la plupart de leurs collègues. Multipliant les métaphores et proposant des sketchs délirants peuplés de personnages insolites, les anciens de l’École nationale de l’humour offrent un imaginaire tordu et chimérique, à des années-lumière d’une Lise Dion. "Au départ, il n’y avait rien de calculé. Nos costumes, ce sont les deux seuls habits identiques que l’on possédait! Le brun collait parfaitement avec l’univers que l’on construisait. Plus tard, j’ai découvert que les gens percevaient les Denis Drolet un peu comme des personnages sortant de dessins animés. Les habits bruns sont devenus notre peau. On était des espèces de Homer Simpson vivants", avance Léonard.

LE STYLE DENIS

Après avoir offert plus de 120 spectacles aux quatre coins de la province avec Au pays des Denis et raflé l’Olivier du numéro de l’année (Parler en même temps) ainsi que le Félix du spectacle d’humour en 2004, les deux comparses sont retournés à leur table de travail. Échafaudant leur nouveau spectacle depuis juin dernier, les zigotos s’apprêtent à remonter sur les planches pour présenter leur nouveau-né, Les Droletteries, mis en scène par Joseph St-Gelais (Louis-José Houde), un habitué de l’univers biscornu de Beckett et Ionesco. "On désirait approfondir le travail sur le plan des textes et des personnages en laissant place à toute notre folie, et c’était l’homme qu’il nous fallait. On savait qu’il serait en mesure d’amener les gens ailleurs sans pour autant les égarer", laisse tomber le Denis à palettes.

Si les amateurs seront heureux de renouer avec des personnages connus tels que Just-to-buy My-love, le danseur moustachu profondément cinglé ainsi que Monsieur Chartier, exit toutefois les P’tits Jeunes Hommes, le groupe de scène des Denis. Malgré la parution l’automne dernier de 2D, deuxième compact du duo s’éloignant sensiblement des sentiers de l’écriture automatique, le duo a préféré mettre l’accent sur les sketchs abracadabrants. "Installer le style Denis était notre plan d’action au début, puis, on a voulu développer des thèmes précis. On a adopté un angle de réalisation plus complexe avec 2D parce qu’on savait qu’on ne ferait pas toutes les chansons en spectacle. On désirait s’éloigner de l’aspect musical pour devenir plus théâtral et présenter de nouveaux personnages. C’est une question de budget, mais avant tout un choix artistique qui a longuement mûri", raconte Léonard.

AUX FRONTIÈRES DU PSYCHOTRONIQUE

Albert Millaire, Léandre, Nelson Minville, Tom Selleck. Autant de noms d’outre-tombe qui peuplent les sketchs et chansons des Denis depuis des années. Il n’y a pas à dire, le tandem semble cultiver une véritable fascination pour les has been. "Au lieu de taper sur les mêmes noms, on aime aller chercher des gens plus obscurs et les insérer dans une situation complètement déconnectée. On s’inspire souvent du CV d’une personne, de ce qu’elle a accompli. Ce n’est jamais pour être méchant, simplement pour illustrer notre propos et ramener dans l’imaginaire collectif des noms oubliés", affirme le Denis barbu, inconditionnel de Tom Waits.

Dernière cible de choix du désopilant duo, Yves Corbeil a même donné son nom à une nouvelle composition. "On cherchait la personne au Québec dont le nom évoquait le plus de souvenirs et dont la carrière était bien remplie. On a emprunté un ton plus ironique et absurde que véritablement méchant, car le but était de produire un genre d’hymne national en l’honneur d’un seul homme", poursuit-il, pince-sans-rire.

DANS LA MIRE DES DENIS

Même si les potes se considèrent quelque peu déconnectés de la réalité depuis les six derniers mois, la campagne électorale qui bat son plein ne les laisse pas indifférents. "On trouve ça absolument étourdissant et on a hâte que les prétendants au trône mettent de vraies valeurs sur la table au lieu de se bitcher entre eux. J’aimerais ça pouvoir mettre mon pied à terre et afficher des idées révolutionnaires, mais absolument personne ne m’inspire dans le lot", raconte Léonard, un sourire dans la voix.

Alors que les membres du duo prévoient sillonner les routes de la province au cours des prochaines années, ils caressent aussi un projet de série télé qui pourrait incorporer des sketchs pseudo-dramatiques et des éléments de dessin animé. Même si le projet est encore au stade embryonnaire, l’inséparable duo prouve, hors de tout doute, qu’il est loin d’avoir vidé son sac d’idées. "On est un peu comme Lynda Lemay: on écrit aux quatre secondes! J’aime dire qu’on est des fous du roi. On veut continuer de surprendre et de faire rire, et n’importe quel moyen ou véhicule est bon pour y parvenir", résume Dubé.

Gageons que les petits gars de Saint-Jérôme continueront d’aller là où personne n’a encore osé mettre le pied.

Les 14, 16 et 17 mars
Au Spectrum
Voir calendrier Humour