Fanny Britt : Couche-toi là
Fanny Britt présente la pièce Couche avec moi (c’est l’hiver), une comédie véhémente qui chatouille les malaises pour mieux provoquer le rire.
Sur fond d’hiver montréalais, Pierre et Suzanne, qui forment un couple ordinaire et sans histoire, rencontrent Hébert, un humoriste à succès qui s’est mis en tête d’obtenir une vraie validation d’artiste et qui, pour ce faire, les entraîne dans son projet voyeuriste de "docu-installation" pour un musée. Ils y sont conviés à réaliser, sous l’oeil indiscret d’une caméra, leurs fantasmes les plus intimes, ou plutôt ces fantasmes soi-disant intimes qu’ils voudraient vouloir avoir pour incarner la réussite de leur amour, ce qui revient à dire qu’il n’y a plus aucune intimité authentique, mais plutôt ce gouffre, ce fossé entre eux et leurs propres aspirations.
L’auteure, Fanny Britt, issue de la cuvée 2001 de l’École nationale de théâtre, nous confie d’emblée que "l’authenticité, on y a peu accès dans la pièce. On a cinq personnages qui ne savent pas s’exprimer, qui aspirent à une certaine authenticité mais qui ne savent pas ce que c’est, qui cherchent à la trouver sans jamais fouiller aux bons endroits". Les relations humaines déficientes des jeunes trentenaires dans la société actuelle lui donnent matière à réflexion: "J’ai observé beaucoup le rapport de plus en plus médiatisé qu’on peut entretenir avec la pornographie. On a fait de certains rituels entre deux personnes quelque chose d’extrêmement étalé, ce qui, à bien des égards, est une bonne chose, on a levé pas mal de tabous, mais ça possède aussi des côtés très pernicieux, comme une espèce de déshumanisation et une obligation de correspondre à des standards. Et ça, je trouve que c’est très fort autour de nous."
Les personnages de Fanny Britt sont aux prises avec un profond sentiment d’être inadéquats. Sans estime pour eux-mêmes, pour ce qu’ils font comme pour ce qu’ils sont, ils cherchent du sens dans une illusoire reconnaissance, ils cherchent à plaire, à atteindre les idéaux de performance véhiculés par une société hypersexuelle. Alors ils sont prêts à tout sacrifier, à bouleverser leur existence pour obtenir la confirmation qu’ils cherchent dans le regard des autres, mais ils se heurtent constamment à un grand vide. Et cette vacuité, cette inadéquation qu’ils ressentent est directement proportionnelle à leur désarroi.
Couche avec moi (c’est l’hiver) est une pièce empreinte "de pessimisme, de tristesse et de douleur", mais le résultat sur scène, admet la jeune dramaturge, laisse une toute autre impression: "C’est une des grandes qualités de Geoffrey (Gaquère, le metteur en scène), il l’a montée avec beaucoup de colère et de révolte, comme en se disant: "Mais il faut cesser d’accepter ça, il faut cesser d’accepter d’être le jouet de ceux qui décident qui on devrait être." Pour lui, c’était un genre d’alarme. Je pense que ça a été heureux d’allier ma tristesse à sa colère, d’aller chercher ce complément afin de trouver une sorte d’équilibre."
Du 20 mars au 14 avril
Au Théâtre de la Bordée
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